Terrorisme, le débat en seul mot…

Trois mots au moins méritent d’être interrogés pour oser nommer la réalité effroyable à laquelle nous assistons : terrorisme, colonialisme, génocide.
Depuis le 7 octobre, toute prise de parole à propos du conflit israélo-palestinien doit être précédée d’un droit de passage sémantique. Il faut qualifier le Hamas de « terroriste ». On est là dans l’ordre du constat. Mais ce mot, irréfutable, a fini par saturer l’espace public, et s’en tenir là pour solde de toute analyse, comme nous y invitent le discours officiel israélien et bien des médias français, nous enferme dans un contresens historique.

« Terrorisme » ne peut pas être le dernier mot de l’histoire. La « guerre au Hamas » est, qu’on le veuille ou non, une séquence du conflit israélo-palestinien. Tout est fait pour qu’on l’oublie. On dit « Hamas » et on entend « Daech ». C’est effacer la part peu glorieuse
que Netanyahou a prise dans l’histoire de ce mouvement en l’instrumentalisant pour briser l’OLP, quand la centrale présidée par Arafat militait pour une solution à deux États.
Si « terrorisme » est le juste mot pour qualifier le Hamas et son action barbare, il ne peut devenir le concept explicatif global du conflit, au risque de sombrer dans l’irrationnel, l’essentialisation et, pour finir, dans le racisme.

« Colonial » est le deuxième mot qu’il faut interroger. Le plus important sans doute, parce qu’il nomme ce conflit comme il convient. Et le plus absent du discours israélien. Le mot était pourtant revendiqué sans fausse pudeur par les fondateurs du sionisme politique. Mais le rappel du caractère colonial d’Israël fait peur aux Israéliens, et à beaucoup de juifs de parle monde.
Il est à la fois justifié et exploité de façon extensible par ceux qui veulent la destruction d’Israël. Puisqu’Israël est un « fait colonial », comme l’avait défini le grand orientaliste Maxime Rodinson en 1967, alors le projet décolonial menace l’existence même de l’État hébreu. C’est la grande peur ravivée par l’attaque du 7 octobre. Il est donc nécessaire, si l’on veut être entendu par les Israéliens de bonne volonté, de circonscrire le colonialisme dont nous parlons aujourd’hui dans le temps et dans l’espace. Notre anticolonialisme vise les territoires conquis militairement par Israël en 1967. Il se réfère à la résolution de l’ONU de novembre de la même année, qui enjoignait à Israël de se retirer de ces territoires, tout en lui assurant, comme à tous les États de la région, « le droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues ». On ne saurait être plus clair. L’ennui, c’est que ce sont les gouvernements israéliens eux-mêmes, et l’actuel plus encore que les autres, qui refusent cette référence protectrice. La gauche sociologique et culturelle, qui existe toujours en Israël, à défaut de représentation politique, n’est pas innocente de ce refus d’affronter la question coloniale. L’erreur, et même la faute, est de regarder les colons fascistes et racistes, pour lesquels on affiche une franche détestation, comme des excités marginaux, alors que la problématique de l’annexion est, au contraire, au cœur du conflit. Comment ne pas voir que Ben Gvir et Smotrich profitent du 7 octobre comme d’une aubaine pour hâter leurs conquêtes de territoires ?

Début d’un article de Denis Sieffert dans Politis du 11 janvier 2024.

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