Éducation et séparatisme social

[…] Emmanuel Macron déploie une vieille rhétorique appelant le retour à l’ordre et à l’autorité. Depuis trente ans, l’ennemi, c’est d`abord le « pédagogisme », le règne supposé des méthodes libertaires contre les bonnes vieilles méthodes de naguère.
Or, depuis trente ans, rien ne prouve que ce règne existe et toutes les comparaisons internationales montrent que l’école française reste extrêmement traditionnelle, obsédée parles leçons, les notes, les contrôles et les classements. Elles montrent aussi que notre école est extrêmement inégalitaire, reproductive, et que les élèves y ont particulièrement peu confiance en eux. Bien des écoles moins injustes et plus efficaces que la nôtre sont nettement plus « pédagogiques ».

L’école doit forger la conscience nationale et le respect de l’ordre. Autre homme de paille dénoncé par le président : les programmes d’histoire qui auraient brisé le récit national républicain en détruisant la chronologie. Or, la chronologie est aujourd’hui au cœur des programmes. Il est vrai que ces derniers permettent des critiques et des points de vue que la théologie républicaine interdisait. Mais ,comment croire à la seule force des images d’Epinal quand l’école n’a plus le monopole de la transmission et quand la nation n’est plus exactement ce que l’on croyait au bon temps des colonies ?

L’école doit former des citoyens. Le président propose d’ajouter une heure hebdomadaire d’instruction civique à partir de l’étude de grands textes. Mais il faut rappeler que les élèves français ne manquent pas d’instruction civique et que tout le problème vient de ce que les leçons ne sont pas aussi efficaces qu*on l’imagine. Les élèves savent que le racisme et le sexisme ne sont pas acceptables, mais il suffit d’observer une cour de récréation au collège pour voir que l’adhésion à ces valeurs n’a pas toujours beaucoup d’impact sur les pratiques et la vie quotidienne. Aujourd’hui, les valeurs s’apprennent moins par des leçons que par des expériences communes, par le dialogue et par l’exercice de droits et de devoirs à hauteur d’élève. Mais la droite a toujours eu du mal avec l’éducation démocratique alors que les enseignants se sentent souvent désarmés par les questions et les attitudes des élèves qui ont pourtant suivi les cours et les modules « citoyenneté », « égalité », « laïcité »…

[…] Mais ni lui ni son ministre de l’Éducation ne disent un mot de la structure même des inégalités scolaires. Pas un mot des indices de position sociale (IPS) des établissements qui montrent que riches et pauvres sont séparés à l’école par l’effet conjugué de la carte scolaire et des choix des familles. Plutôt que d’accroître la mixité sociale à l’école, le président voudrait que les élèves les plus faibles aient plus d’heures de cours et plus d’heures de rattrapage. Non seulement les pauvres auront moins de vacances, mais on fait comme si la multiplication des dispositifs de soutien depuis quelques dizaines d’années avait eu les effets escomptés. Tout de fermeté, le style monarchique n’empêche pas d’avoir cédé à la campagne raciste orchestrée par CNews contre Pap Ndiaye. Le ministre n’a pas été attaqué sur ce qu’i1 a fait ou n’a pas fait, mais sur ce qu’il est : un Noir supposé incompétent, woke et communautariste. […]

Extraits d’un article de François Dubet dans Alternatives économiques d’octobre 2023.

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