Netanyahou et le Hamas

Voilà qui devrait conduire à une réflexion sur la mémoire et l’oubli dans le conflit israélo-palestinien.
Le 19 janvier, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a osé accuser Israël d’ « avoir financé le Hamas pour affaiblir l’autorité palestinienne ». Indignation de Benyamin Netanyahou. Scandale dans une partie de la presse occidentale. C’est pourtant une pure vérité, que Politis rappelait dès le 10 octobre, et qu’il n’était pas difficile de documenter en retrouvant les forfanteries du premier ministre israélien devant le Likoud en 2019 (lire Politis n°1786 du 30 novembre 2023), et de nombreuses autres occurrences. La mémoire est sélective et elle se nourrit d’une information qui ne l’est pas moins.
Et ça continue ! Que voient aujourd’hui les israéliens de ce qui se passe à Gaza ? Rien ou presque. Certes, la minorité éclairée qui veut voir le peut. Nous ne sommes pas chez Poutine. Mais, pour le plus grand nombre, une ignorance de masse est organisée. Les 25 O00 morts tués à l’aveugle par les bombes, les 50 O00 blessés, les hôpitaux anéantis, les enfants défigurés ou amputés à même le sol, le froid, la famine, les villes rasées, comme jadis Dresde ou Grozny, tout ce qui bouleverserait Israël s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle, et – osons le dire – s’il s’agissait d’un autre peuple que palestinien, sont ignorés.

On est frappé par une absence totale de compassion, comme si ce sentiment était tout entier capté par le chagrin et l’angoisse des familles de victimes du 7 octobre, mortes ou toujours détenues en otage. Il y a la part d’aveuglement favorisé par une information borgne, et il y a le discours récurrent sur le cynisme – bien réel – du Hamas, qui « savait ce qu’il allait provoquer ». Mais le mal est plus profond et plus ancien. C’est la fameuse angoisse existentielle et l’exploitation d’un passé qui est un « éternel présent », comme disait le poète Haim Gouri.
En 1947 déjà, lors du conseil sioniste de Zurich, Ben Gourion lui-même traçait un signe égal entre Arabes et nazis. ldith Zertal parle du « transfert du contexte de la Shoah sur une situation moyen-orientale qui […] est d’une nature complètement différente ». Et l’historienne des études juives pointe les risques d’un tel amalgame : « Création fallacieuse d’un danger imminent de destruction massive », « dévalorisation de l’ampleur des atrocités commises par les nazis » et « diabolisation des Arabes ».
La mémoire ici est instrumentalisée. Mais il y a plus insidieux : le déni. Le traumatisme du 7 octobre ne résulte pas seulement de la stupeur née de la violence de l’attaque du Hamas et de la défaillance d’un système de défense réputé infaillible, il est la conséquence d’un refus de voir la réalité palestinienne en face. Depuis 2007, le blocus imposé par Israël a fait des Gazaouis des prisonniers à perpétuité, privés de liberté et d’espoir et reclus dans des conditions de misère inimaginables : 80 % dépendent de l’aide internationale, l’eau est rationnée, l’électricité n’est plus accessible que deux heures par jour, la pénurie alimentaire est chronique.

Depuis vingt ans, c’est-à-dire depuis la liquidation du processus de paix, les Israéliens se partagent en deux catégories. Il y a ceux qui, poursuivant leur rêve mystique, se réjouissent de l’écrasement physique et moral du peuple palestinien, et ceux qui s’étaient installés dans le confort du refoulement. Pour ceux-là, l’immense majorité, la question palestinienne ne resurgissait qu’au gré d’un attentat et de la répression. Et la bonne conscience était assurée par la vraie fausse décolonisation de 2005. Un coup de « com » génial d’Ariel Sharon qui autorise, à chaque tir de roquette du Hamas, à dénoncer l’ « ingratitude » des Palestiniens et à convaincre le monde entier que décoloniser la Cisjordanie ne servirait à rien puisque les Palestiniens ne sont jamais contents. D’où un déni qui fonctionne également pour la colonisation massive de la Cisjordanie, que beaucoup d’israéliens tiennent pour un fait marginal organisé par des colons extrémistes qu’ils détestent. Or, c’est là que se joue le conflit.

Début d’un article de Denis Sieffert dans Politis du 25 janvier 2024.

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