La pensée hémiplégique

On n’a pas trop envie de s’amuser avec l’actualité, ces temps- ci, vous avez remarque ? Il se passe pourtant des choses drôles ici et là, mais le fracas du tocsin couvre les rires, quoi qu’on fasse. Difficile de sortir une blague alors qu’un obus russe vient de frapper délibérément un repas d’enterrement en Ukraine, envoyant les soixante convives rejoindre leurs défunts ; que des centaines d’enfants, des jeunes danseurs, des familles entières sont, en Israël, massacrés sans pitié ; que des immeubles entiers sont en quelques secondes réduits en cendres à Gaza, avec les inévitables conséquences sur la vie des civils qui n’ont pas pu se mettre à l’abri.
Ce qui est le plus frappant dans cette période, c’est l’épidémie de pensée hémiplégique qui frappe beaucoup de commentateurs.
Journalistes, intellectuels, politiciens, ils déplorent l’horreur des crimes commis par l’un ou l’autre camp, mais leur compassion souvent s’arrête à la frontière qui pour eux sépare les méchants des bons. La plus grande victoire des Poutine, des Netanyahou,
du Hamas et des brutes épaisses qui sont un peu partout au pouvoir sur la planète, c’est de confronter les plus doux, les plus modérés à tant d’horreurs qu’ils en deviennent à leur tour des sauvages, ou qu’ils finissent par accepter la raison de la violence.
Entendre Zeruya Shalev, romancière de grand talent, opposante notoire à la politique de Netanyahou, justifier l’invasion de Gaza par Tsahal au nom de la douleur des familles victimes des ignominies du Hamas est d’une grande tristesse : « On n’a pas le choix ! »
Vraiment?
Netanyahou a gagné, qui depuis des années soutient activement le Hamas (« Cela participe de notre stratégie : isoler les Palestiniens de Gaza de ceux de Cisjordanie », 2019). Tous ont à cœur, quel que soit le dieu au nom duquel ils massacrent autrui, de donner raison au constat biblique : « Et ce sont les violents qui l’emportent. »

Article de Jean-Marie Laclavetine dans Siné mensuel de novembre 2023.