Diviser pour mieux régner

Comme l’expliquent les sociologues Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli dans le livre Quand les banlieues brûlent, réalisé à partir d’entretiens menés lors des émeutes de 2005, c’est bien ce sentiment de relégation qui est le fondement moral de l’émeutier pour justifier son geste. Comme beaucoup de Français, les ruraux interrogés se sont fait l’écho des médias en se plaçant plutôt comme victimes de ces dégradations (évoquant un local à poubelles brûlé dans la rue ou des impôts qui serviraient à payer les dégradations sur les équipements publics) sans questionner la revendication sociale derrière ces mouvements. Comme l’évoquait déjà Benoît Coquard dans une interview de 2022, il existe une tentation médiatique à « mobiliser un vrai peuple des travailleurs à défendre contre un autre peuple davantage issu de l’immigration et urbain ». Durant l’été 2023, en invoquant le bon droit et le bon sens et en dépersonnalisant les émeutiers présentés comme une masse irrationnelle et dangereuse, on a invisibilisé une fois de plus le vécu de Nahel et des jeunes de banlieue.

Les territoires urbains comme ruraux, éloignés de tout (emplois, services, santé, culture…) expérimentent souvent un processus commun d’isolement et par la même une dilution du sentiment d’appartenance à une communauté élargie à la France, pour se replier sur une identité locale plus palpable : le village ou la cité. S’agissant de la ruralité, Benoît Coquard avance l’hypothèse que la construction clanique très forte dans ces espaces a conditionné les populations à développer une conscience collective sélective. Selon lui, ce repli autour de « solidarités exclusives » peut expliquer une certaine adhésion à la « priorité nationale » du Rassemblement national qui fait le jeu de cette opposition eux « les assistés » et les immigrés – contre nous – les « Français de souche ». Ceci explique sans doute que les émeutes de cet été n’aient pas eu de dimension nationale comme celles du mouvement Black lives matter aux Etats-Unis, suite au meurtre de George Floyd en 2020.

Pourtant, il ne faut pas oublier que diviser ces espaces urbains et ruraux ne leur permettra pas de faire bouger les représentations collectives et donne raison aux théories de Pierre Bourdieu sur la violence symbolique. En se rangeant du côté du maintien de l’ordre inégalitaire et préférant se désolidariser des classes populaires urbaines, la ruralité ne s’empêche-t-elle pas de prendre sa place dans les revendications sociales de l’action collective ? En outre, à une époque où certains espaces ruraux recommencent à attirer des jeunes populations et ambitionnent de profiter d’un nouvel exode urbain, il semble y avoir urgence à renouer les liens entre tous ces eux et nous, urbains comme ruraux, afin de co-construire un vivre ensemble.

Extrait d’un article de Nina Bucher dans Transrural initiative de septembre-octobre 2023.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *