Extrême droite et extrême argent

De qui Jordan a-t-il entendu le « cri d’alarme » ?
Des 1300 salariés licenciés de Michelin, qui viennent de découvrir que leurs actionnaires allaient se gaver de près d’un milliard de dividendes ? Celui des soignants, qui le hurlent, même, qu’on meurt désormais à l’Hôpital, en France, faute de moyens et de personnels ?
Non : « J’ai entendu le cri d’alarme de Bernard Arnault. » Jordan Bardella, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, a entendu chouiner le milliardaire français, assis sur une fortune de 200 milliards, ses yachts, ses châteaux, et une bonne dose d’optimisation fiscale. Jordan entend la complainte, parce que, voyez-vous, « un dirigeant d’entreprise qui prend des risques, qui investit, qui se lève parfois très très tôt, bien avant ses salariés, et qui vient dire : « C’est un enfer fiscal de travailler et d’investir en France », on ne peut pas être sourd à ce cri d’alarme. »
On objecterait bien à Jordy que si son ami Bernie investit, c’est surtout avec les aides de l’État, que s’i1 prend des risques c’est surtout pour ses employés et pas vraiment pour lui, hein, on ne va pas se mentir, et qu’on n’est pas certains non plus qu’il se lève plus tôt que les ouvrières qui fabriquent ses costumes en 3×8.

[…]

Bref, on le disait déjà, il y a quelques mois, dans ces colonnes : extrême droite et extrême argent ont fusionné. Politiquement, il faut désormais lier les deux : l’une ne va pas sans 1’autre. C’est que rien dans le projet des uns ne dérange fondamentalement les autres. Ils ont les mêmes objectifs. sur le plan social. Le jour même de la déclaration d’amour de Bardella à Arnault, on apprenait que le RN s’abstiendrait sagement de voter la proposition de loi instaurant un impôt minimum de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches. Un épisode parmi d’autres. Comme la droite (incluant la Macronie, évidemment), le RN a voté contre l’indexation des salaires sur l’inflation (le 20/O7/2022, à l’Assemblée). Comme la droite, le même jour, le RN a voté contre la hausse du SMIC. Comme
la droite, le 25 octobre dernier, le RN a voté contre le retour de l’ISF. Comme la droite, le RN vote contre la hausse de 8 milliards d’euros d’impôts sur les grandes entreprises…
Jusque-là, le parti lépéniste évitait de trop l’afficher. C’est que ses électeurs, en particulier les plus modestes, sont en demande d’un État social et protecteur. Alors, l’imposture a la vie dure. Difficile aujourd’hui, toutefois, de ne pas faire allégeance aux « grands » patrons comme Bernard Arnault : l’odeur du pouvoir est là, qui se rapproche, et leur soutien sera précieux. Car les connexions entre leurs mondes et leurs intérêts sont désormais flagrantes. Voir ce « grand capitaine d’industrie » d’Arnault (c’est ironique, hein), ce « créateur d’emplois » (c’est encore ironique), ce chouchou de la Macronie jubiler à l’investiture de Trump, filmant, se prenant en photo, n’étonna que les naïfs. Business is business, comme pour les géants de la Tech qui ont plié le genou devant le président américain : si on se gave autant avec l’extrême droite qu’avec la droite, alors frayons avec l’extrême droite.
Tous ont le même projet économique et social : trancher au maximum dans l’École, dans l’Hôpital, dans les services publics, et qu’importe le racisme, qu’importe les valeurs ou le reste. Business is business. Les uns et les autres dirigent ensemble, désormais. Le RN a joué une fois la carte de la censure, histoire que leurs accointances ne deviennent pas trop voyantes pour son électorat, mais la grande trouille de Macron, de la droite et du RN reste de voir arriver la gauche aux responsabilités.
Pour dépasser ce barrage, il faudra donc opposer à ce double projet qui a fusionné une triple riposte : combattre leur atavisme raciste de division de la société – les fondamentaux des dirigeants du RN sont toujours là -, mais aussi démasquer l’arnaque, et enfin œuvrer pour un vrai progrès social de rupture, parce que les attentes des gens aux vies laminées par trente ans de délocalisations et de culte du profit à tout crin sont énormes en la matière. Et qu’on ne pourra rien faire sans eux ni leur soutien.

Extraits d’un article de Cyril Pocréaux dans le journal Fakir de février 2025.

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