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On ne répond pas à la souffrance en envoyant les CRS
Lors de son interview sur TF1, Gérald Darmanin ajoute: « On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS. ›› Quelques heures plus tôt, l’ancien directeur de campagne d’Emmanuel Macron, Jean-Marie Girier, nommé préfet de la Vienne, allait dans le même sens, preuve que les consignes ont été passées: « On n’envoie pas les gendarmes et les policiers sur les gens qui souffrent », a-t-il lâché au micro de France Bleu.
[…] Sebastian Roché est directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po Grenoble. Spécialiste de la police et du maintien de l’ordre, il est également coauteur de La Police contre la rue (Grasset, 2023). Selon lui, « ce n’est plus la loi qui prévaut, mais le bon plaisir du gouvernement ». Les choix du maintien de l’ordre le plus agressif (interpellations massives et préventives, interventions du Raid et de la BRI, utilisation massive des armes) sont liés « aux évaluations que fait le gouvernement de l’acceptabilité et de la légitimité des troubles ».
Gérald Darmanin va encore plus loin et légitime les actions musclées des agriculteurs. « ll y a des coups de sang légitimes. » Cet enchaînement de communication gouvernementale interroge. « Et les gilets jaunes ? Et les manifestations contre la réforme des retraites ? Et les révoltes après la mort de Nahel ? » s’exclament des militants sur les réseaux sociaux.
ll faut dire que le contraste de traitement est saisissant.
Le 24janvier, le préfet de l’Eure publie un communiqué sur le blocage de l’A13. ll indique que « la situation est calme » et donne des indications aux automobilistes. Les forces de l’ordre n’interviendront pas. Huit mois avant, la même voie était bloquée, cette fois-ci par des militants écologistes contre la construction du contournement est de Rouen. À l’époque, le préfet condamnait fermement cette « action irresponsable » qui provoquait un « trouble grave à l’ordre public ». Neuf personnes avaient fini en garde à vue. « Le gouvernement n’applique pas les mêmes règles à tous, il est devenu partial », explique Sebastian Roché. « La reconnaissance de la souffrance est devenue un critère subjectif. » Il fait, par exemple le lien avec les évacuations de sans-abri et de réfugiés dans le centre de Paris. « Ce ne sont pas des gens qui souffrent ? »[…]
Face à Gérald Darmanin, sur TF1, Gilles Bouleau rappelle les nombreuses dégradations commises par des agriculteurs ces derniers jours. « Est-ce que les agriculteurs s’en prennent aux policiers ou aux gendarmes ? » répond le ministre de l’Intérieur, laissant entendre que les autres mouvements sociaux ne s’en privent pas. C’est pourtant le même ministre qui a affirmé que « les biens sont aussi importants que les personnes », le 5 octobre 2023, lors d’une commission d’enquête sur les groupuscules violents. Les autres professions ne semblent pas avoir le même traitement de faveur. Lors du mouvement contre la réforme des retraites, des syndicalistes bloquant des raffineries et des dépôts pétroliers ont eu à faire face aux forces de l’ordre. Toujours pendant cette mobilisation, les manifestations ont été le lieu de nombreuses violences policières. Dans la seule journée du 23 mars 2023, un syndicaliste SUD Rail a perdu l’usage d’un œil à cause d’un jet de grenade à Paris et une travailleuse sociale a eu le pouce arraché à Rouen.
« L’ordre, l’ordre, l’ordre ». Le 24juillet, Emmanuel Macron a scandé cette devise après les révoltes qui ont éclaté à la suite de la mort de Nahel. Des mots qui résonnent étrangement pour de nombreuses personnes quand les agriculteurs bénéficient de clémence. Le vendredi 26 janvier, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a ironisé sur France 2 : « La prochaine fois, on va faire nos manifestations avec des tracteurs, ça sera peut-être plus simple. »
Extraits d’un article de Maxime Sirvens dans Politis du 01 février 2024.