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Le fantasme de l’appel d’air
Selon le président LR de la commission des lois, François-Noel Buffet, il s’agit avant tout d’éviter « une régularisation massive et automatique », qui constituerait « un appel d’air considérable ». Là encore, le sénateur n’apporte aucune preuve de cet effet supposé du dispositif. Et les études empiriques sur le sujet démentent largement cette crainte. Des chercheurs ont analysé les grandes campagnes de régularisation menées aux États-Unis en 1986 et en Espagne en 2005. Ils ont pu démontrer que de telles politiques n’ont pas d’effet significatif sur les entrées ultérieures dans le pays.
L’envergure des régularisations accordées dans chaque cas (plus de 2 millions et demi de personnes aux États-Unis et environ 600 000 en Espagne) est sans commune mesure avec le modeste dispositif envisagé dans le projet de loi immigration et intégration. Le mécanisme est ici réservé aux travailleurs exerçant un métier en tension, c’est-à-dire dans un secteur où les employeurs peinent à recruter. Il ne concernerait, de l’aveu même du gouvernement, que quelques milliers de personnes par an.
Le décalage entre les discours et la réalité montre que les sénateurs ne vivent pas dans le monde des faits, mais dans celui des fantasmes. Plongée dans un « grand déni » (François Héran), la droite « républicaine » s’est radicalisée et se rapproche dangereusement du socle idéologique de l’extrême droite. Même le camp présidentiel entretient l’ambiguité sur le sujet. L’exposé des motifs du projet de loi insistait déjà sur la nécessité de répondre à la « pression migratoire », une expression qui véhicule clairement l’idée d’un trop-plein. On se souvient aussi qu’en septembre juste après la visite du pape à Marseille, le chef de l’État répondait tout en subtilité à la fraternité chrétienne par le fameux « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Prononcée par le Premier ministre socialiste Michel Rocard en 1989, cette phrase repose sur le même postulat fallacieux que la théorie de l’ « appel d’air » : faute de politique d’exclusion à l’égard des étrangers, les pauvres de la terre entière se tiendraient prêts à débarquer en France…
La séquence politique en cours ne fait en réalité que confirmer une tendance de fond. Les discours xénophobes des sénateurs ne font pas figure d’exception dans l’histoire de notre pays. Ils puisent dans un imaginaire de l’ « invasion » ancré de longue date en France. De Maurice Barrès à Marine Le Pen en passant par François Coty, Jean Raspail, Alfred Sauvy, Jean-Marie Le Pen ou encore Stephen Smith, cela fait près de cent cinquante ans que des responsables politiques, des journalistes, des essayistes, des romanciers ou encore des démographes s’inquiètent de « torrents migratoires » sur le point de s’abattre sur la France. Chaque nouvelle prophétie est une chimère. Et pourtant, chaque génération produit ses oracles, annonçant l’ « apocalypse ».
Les cibles changent (jadis les Italiens, aujourd’hui les Algériens) mais le champ lexical reste le même : « invasion », « afflux massif », « submersion », « crise » ou « déferlante migratoire », « appel d’air »…Dernier exemple en date : le « grand remplacement », obscure théorie complotiste popularisée par Éric Zemmour. Cette expression xénophobe et raciste a été lâchée en plein hémicycle par le sénateur Reconquête Stéphane Ravier, sans réelle réaction médiatique ou politique. C’est le signe que certaines digues rompent. Ce n’est pas l’immigration qui nous submerge, mais bien le déluge de haine déversée par les représentants de la nation. Ce ne sont pas les étrangers qui nous assiègent, mais les discours nauséabonds de responsables politiques peu scrupuleux, prêts à faire feu de tout bois. C’est là que réside le véritable péril, dans la banalisation d’idéologies dangereuses qui déshumanisent des individus en raison de leur origine et de leur couleur de peau.
Fin d’un article de Louis Imbert dans Politis du 23 novembre 2023.