Social business

On pensait qu’il y avait des domaines dans lesquels l’égalité de traitement des personnes prises en charge restait et resterait la base déontologique, justifiant l’existence même de l’action. La médecine, évidemment, mais aussi l’éducation et le travail social qui « réparent » un peu les injustices créées par les inégalités sociales, psychologiques ou physiologiques.
Ces actions ont été confiées de longue date par la puissance publique à des associations, souvent issues du secteur caritatif, jugées expertes par leur expérience et la qualité de leurs interventions.
Depuis une dizaine d’années, ces associations sont elles aussi sommées de réaliser des économies. De nombreuses structures se sont regroupées, entraînant des économies d’échelles et des mutualisations de moyens. Mais cela ne suffit plus, paraît-il ! Alors, depuis l’adoption de la loi sur l’économie sociale et solidaire en 2014 et son application en 2016, une nouvelle logique copiée sur les modèles anglo-saxons de privatisation et de financiarisation de notre système socio-éducatif se met en place. Un réel changement de paradigme du fondement même de l’action sanitaire et sociale.

L’investissement à impact social (traduction des Social Impact Bonds américano-anglais) consiste à confier à des entreprises privées (essentiellement des banques et de très grands groupes industriels) le financement des programmes sociaux dits innovants avec retour sur investissement de l’État qui les rembourse en fonction des résultats. La nuit, par grand brouillard, on pourrait croire à du mécénat, mais il n’en est rien puisque cet investissement qui a rapporté jusqu”a 15 % en Angleterre rapporte en moyenne entre O et 6 % et, dans tous les cas, n’est jamais perdant pour les multinationales qui n’ont pas l’habitude de faire des cadeaux pour le fun et tirent en outre un bénéfice d’image considérable de ces opérations.

Il restait un domaine dans lequel il semblait indécent de gagner du fric sur le dos des gens : le social. Eh bah c’est fini ! Ça c’est le côté « Morale ». Mais ce n’est pas le plus important car on imagine bien que les groupes financiers ne vont pas investir dans n’importe quel domaine du secteur socio-sanitaire et surtout vont opérer une pression énorme sur les associations élues pour qu’elles réalisent de « bons résultats » !
Les dérives sont évidentes : si je dirige une association d’insertion professionnelle, je choisirai le public le moins éloigné de l’emploi pour être certain de complaire aux exigences de l’investisseur privé qui aura droit de vie et de mort sur ma structure en renouvelant ou non le contrat. Cette remise en cause de l’objectivité de choix des personnes précarisées pour « faire du chiffre » sera totalement contre-productive à terme et créera, de fait, plus d’exclusion encore. […]

Extrait d’un article d’Étienne Liebig dans Siné mensuel d’octobre 2017.

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