Pourquoi vous devriez vous informer autrement ? La réponse dans cette vidéo.
Ruralité et appartenance excluante
Dans l’histoire de la stigmatisation des populations rurales, la Bretagne tient un rôle particulier. Et dans l’histoire de la montée en puissance de l’agro-industrie comme réaction à une longue histoire de marginalisation, de paupérisation et de stigmatisation, là-aussi, la Bretagne a un rôle vraiment clé. C’est intéressant de regarder aujourd’hui l’interaction entre un discours d’affirmation identitaire, qui n’est pas nécessairement d’extrême droite mais qui ne pense pas la multiplicité d’appartenances, et un discours qui favorise l’agro-industrie, qui ne remet pas en question et qui met en avant une forme de fierté, de prise en main de son propre territoire, etc.
Ça m’a vraiment interpellée en revenant habiter chez moi de voir comment, dans la défense du modèle agro-industriel, venait tout de suite un argument identitaire qui consistait a dire « on fait bien ce qu’on veut puisqu’on est chez nous et c’est parce qu’on est chez nous qu’on a le droit de flinguer les terres ». Il y a un enjeu d’appartenance excluante, identitaire, au sens ou on hérite d’un endroit par une ascendance, et par ailleurs on est dans un rapport de propriété qui justifie de faire ce qu’on veut.
[…] il faut aussi comprendre comment cette appartenance est excluante sur le temps long. À l’échelle de la Bretagne, dans la poussée des nationalismes du début du XXe siècle, il y a une corrélation forte entre l’affirmation d’une identité spécifique et le logiciel antisémite de l’époque qui rejette, stigmatise des populations considérées comme n’étant pas enracinées. On touche à quelque chose de fondamental du rapport majoritaire à l’appartenance dans les territoires ruraux : c’est l’idée que des gens sont vraiment enracinés et d’autres pas. C’est une idée qui remonte quasiment à 2000 ans si on prend l’antisémitisme et à au moins 500 ans sinon plus dans le cas de l’anti-tsiganisme.
Cette histoire sur le temps long a des implications actuelles sur tous les descendants et descendantes de l’immigration postcoloniale et toutes les personnes en situation d’exil qui viennent s’installer dans les territoires ruraux. Le logiciel est le même dans les villes mais on ne touche pas à la même chose puisqu’on n’est pas directement en prise avec les logiques de la propriété de la terre. Et la ville n’a pas été exaltée de longue date comme cet endroit « pur » du point de vue racial. Ce discours-là, dit clairement par l’extrême droite, un peu moins clairement par la droite, n’est pas contesté par la gauche.
Extraits d’un entretien de Juliette Rousseau (Péquenaude) dans Transrural initiative de novembre 2024.