Résilience des Palestiniens

Sarnah Jabr est une psychiatre palestinienne qui vit à Jérusalem et exerce en Cisjordanie occupée. La réalisatrice Alexandra Dols a tourné un film documentaire, Derrière les fronts, sur son travail et sur la résilience des Palestiniens.

Début d’un entretien entre Samah Jabr et la rédaction du journal Siné mensuel dans le numéro de décembre 2017 :

– Vous avez titré une de vos chroniques : « L’humiliation, le marteau qui écrase la société palestinienne. » Qu’entendez-vous par là ?
– L’humiliation, c’est l’assassinat psychique des gens, les mettre dans une position inférieure, les priver de leur capacité d’agir, de leur volonté. C’est le traumatisme le plus répandu en Palestine.
– Comment cela se traduit-il concrètement ?
– À un extrême, il y a des gens qui tentent de faire face à cette humiliation en utilisant des moyens radicaux. À l’autre bout, il y a ceux qui intègrent ce sentiment d’infériorité et perdent toute capacité d’agir. Ils intériorisent l’humiliation et peuvent reproduire le schéma sur de plus faibles qu’eux. Entre les deux, il existe beaucoup d’autres options.
On ne peut pas savoir qui peut faire quoi, et quand. Les réactions sont variables, selon le climat politique, les ressources de résilience de chacun.
– Les traumatismes entraînent la violence ?
– Ici, les enfants peuvent être arrêtés dès l’âge de 12 ans. 40 % des hommes palestiniens, depuis 1967, ont connu la prison. L’humiliation et la torture sont des expériences très répandues… Malgré toutes ces atrocités, les Palestiniens restent un peuple spirituel. Je ne parle pas de religion… Ils ont la conviction d’avoir le droit de vivre bien, avec dignité, d’être capables de donner un sens à leur vie.
L’autre élément qui protège le peuple palestinien est une structure familiale très solide. Malgré la pauvreté, la démolition des maisons, on ne voit pas ici des gens qui cherchent à manger dans les poubelles ou qui dorment dans les rues. La famille défend les plus faibles, dans le village, la société. . . Cette cohésion sociale organique est très spontanée, même si Israël essaie d’attaquer ces éléments de résilience communautaires de façon systématique.
– Comment ?
– L’emprisonnement. La torture, qui ne fait pas seulement du mal aux individus torturés, mais touche toute la famille. Une personne qui subit la torture pendant longtemps, quand elle rentre chez elle, est devenue l’ombre d’un être humain. J’ai vu beaucoup de pères torturés revenir à la maison. Souvent, son fils a pris sa place dans la famille. Il commence alors à passer son temps à fumer devant la télé…
Autre exemple : récemment, quand les adolescents palestiniens ont commencé à prendre des couteaux et à attaquer des Israéliens, Israël a tué beaucoup de ces jeunes et a congelé les corps ! Par le passé, quand un jeune homme était tué par l’armée, tout le village participait aux funérailles et présentait ses condoléances à la famille. Aujourd’hui, Israël ne rend les corps que si la famille accepte qu’une dizaine de personnes seulement participent aux funérailles, parfois après des mois de négociations…

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