Racisme dans la police, un non-sujet médiatique

La mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin, aurait pu relancer dans le débat public la question du racisme clans la police. Mais sur BFM-TV – comme presque partout ailleurs dans l’aucliovisuel, ainsi que dans une large partie de la presse – cette question reste largement taboue, comme le demeure celle des violences policières.
Le 4 juillet, dans « Le live Toussaint » de BFM-TV, la journaliste Ashley Chevalier amorce une revue de la presse étrangère au sujet des révoltes en cours ayant éclaté à la suite de la mort de Nahel : Europe, États- Unis, Russie, Chine, jusqu’au Mexique… On en a parlé dans les journaux télévisés avec plus ou moins de sensationnalisme vous allez voir. Et pas besoin d’être polyglotte pour tout comprendre !
Passons sur le fait d’entendre BFM-TV ironiser sur le traitement sensationnaliste de l’information… car l’essentiel est ailleurs. Passés quelques extraits de journaux télévisés étrangers, la journaliste évoque les analyses de la presse anglophone :
Manifestement, quand on lit la presse étrangère, il n’y a pas que le Times qui l’avait vu venir, ils l’ont tous vu venir ! « Dans les banlieues et les quartiers populaires français, la colère est toujours palpable, prompte à rejaillir », dit le Washington Post.
Sauf que l’article du Washington Post dit surtout combien « le racisme systémique embrase les villes françaises », comme l’indique… son titre, qui s’affiche à l’antenne !
Dommage que la journaliste de BFM-TV n’ait pas été assez « polyglotte » pour le comprendre et mettre sur la table ce qui constituait pourtant l’angle principal de cet article.
Alors, déni ? auto-censure ? Une chose est certaine : sur BFM-TV, le racisme dans la police n’est pas un fait, en dépit des condamnations judiciaires de la France en la matière, des innombrables enquêtes de presse, études sociologiques, rapports d’ONG, du Défenseur des droits et d’organisations internationales existant sur le sujet jusqu’au rapport du déontologue du ministère de l’Intérieur lui-même, qui décrivait il y a moins d’un an « les discriminations qui règnent au sein des forces de l’ordre ».

À l’antenne de BFM-TV, le 2 juillet, une journaliste entreprend ainsi d’y voir plus clair auprès… du préfet de police de Paris, Laurent Nuñez : « Est-ce que selon vous il y a du racisme dans la police ? » La question en elle-même pose problème : ainsi formulée, en effet, elle sous-entend que le phénomène ne serait qu’une opinion au doigt mouillé, tout au plus une rumeur qu’ « on entend dans les rues », selon l’expression qu’avait utilisée le « 20h » de France 2 en 2020.
Terrassé par la virulence de cette adresse, Laurent Nuñez ne se prive pas pour couper court : « Non, certainement pas », assène-t-il, sans que les trois journalistes en plateau s’en émeuvent outre-mesure. Et il insiste : « Il n’y a pas de racisme dans la police ». « On vous a entendu », lui répond simplement Benjamin Duhamel, avant de classer l’affaire sans suite.
On a connu contradiction journalistique plus étayée ! Ou plus acharnée…
Celle, par exemple, dont fit preuve Apolline de Malherbe face à Manuel Bompard quatre jours plus tard dans la matinale de RMC et BFM-TV (6 juil).
Le député de La France insoumise revenait alors précisément sur cette interview du préfet de police :
– Manuel Bompard : Monsieur Nuñez dit : « Non, il n’y a pas de racisme dans la police » [coupé]
– Apolline de Malherbe : Non, il ne dit pas : « Il n’y a pas de racisme ».
– Manuel Bompard : Si, si !
– Apolline de Malherbe : Il dit : « On ne peut pas parler de racisme systémique. »
– Manuel Bompard : Non! Non!
– Apolline de Malherbe : Il a dit : « On ne peut pas parler d’un racisme systémique » !
Trois interruptions… et trois mensonges.
Certes, le verrouillage de BFM-TV sur toute question ayant trait à la police ne surprend plus. Les policiers syndicalistes entrent dans les studios comme dans un moulin, défilent en plateau à la queue leu leu et voient en prime leur communication assidûment relayée par la rédaction. Il y a quelques mois, Mediapart révélait que la direction de la chaîne avait même « officiellement proscrit »» l’usage du terme « violences policières », le jugeant « politiquement connoté », et incitait ses journalistes à « lui préférer des formules du type dérapages ou accusations de violences policières ».
Des consignes que certaines des têtes d’affiche de la chaîne appliquent avec zèle, allant jusqu’à inciter des intervenants invités à l’antenne à s’y conformer.

Extraits d’un article du magazine trimestriel Médiacritiques d’octobre 2023, édité par l’association Acrimed.

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