Prêt à tuer pour maintenir l’ordre établi

Tous les mouvements émancipateurs ont été et seront confrontés à la répression militaire et policière, qu’il s’agisse de la Commune de Paris, de la longue lutte pour les droits civiques aux États-Unis ou de la rébellion zapatiste au Mexique. À l’heure actuelle, un mouvement écologiste militant comme les Soulèvements de la Terre constitue le mouvement émancipateur le plus visible en France. Il faut souligner cette visibilité comme tactique: le caractère hautement public de leurs actions et de leur mise en scène dramatique. C’est cette visibilité – un peu comme la devise obsédante des Gilets jaunes, « on est là » – qui a déclenché l’ire du gouvernement et généré le degré de violence de la répression à leur encontre. Le 25 mars 2023, 30 000 personnes venues de toute la France et d’ailleurs se sont frayé un chemin à travers les champs de Sainte-Soline pour protester contre le stockage et la privatisation de l’eau par l’agro-industrie. […] L’ampleur de la mobilisation à Sainte-Soline explique l’état de panique dans lequel s’est retrouvé le gouvernement, car elle montre à quel point les Soulèvements de la Terre ont réussi à faire de l’éducation politique, à créer une conviction partagée et une perception commune en très peu de temps. Elle montre que les gens sont prêts à manifester publiquement leur colère contre les crimes commis par les grandes industries dans les campagnes.

Est-ce le signe d’un gouvernement aux abois ou, au contraire, d’un État qui montrerait sa vraie nature?

Juste après le 25 mars, l’historien Christophe Bonneuil a écrit une très bonne analyse dans Reporterre sur les violences policières qui ont eu lieu à Sainte-Soline ; il a commencé par poser la question de savoir pourquoi le gouvernement était prêt à faire la guerre à ses propres citoyens pour protéger un trou dans le sol. Il situe d’abord la violence gouvernementale dans le contexte de la réforme des retraites et de la nécessité de présenter une force d’opposition à toute épreuve face aux manifestations dans les villes.
En outre, le gouvernement doublait du même coup son soutien inconditionnel à l’agriculture productiviste. En fin de compte, conclut-il, le gouvernement apparaît disposé à tuer ses propres citoyens quand l’ordre social injuste produit par le capitalisme se retrouve sérieusement menacé. Mais j’ajouterais un facteur supplémentaire à l’analyse de Christophe Bonneuil en ce qui concerne la panique du gouvernement et sa volonté d’aller jusqu’au meurtre pour empêcher que de plus en plus de personnes soient prêtes à exprimer publiquement leur colère. Les forces de l’ordre se moquent de la multiplication du nombre d’études et de rapports sur la destruction des mondes vivants par le capitalisme. Ce ne sont pas les statistiques, les données et les tables rondes universitaires sur les crises écologiques qui les embarrassent. En revanche, que 30 000 personnes soient prêtes à manifester dans la campagne poitevine contre les méga-bassines, ça c’est une donnée qui leur parle et qui les dérange.

Début d’un entretien de Kristin Ross dans Socialter d’août 2023.

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