Pouvoir d’achat et structure de l’emploi

Fin novembre l’Insee a publié une étude sur les salaires avec ce message : « Le pouvoir d’achat du salaire net dans le secteur privé a progressé de 17,8 % entre 1996 et 2020 » […]

Par construction, une moyenne reflète une diversité de situations. Les cadres d’entreprise, par exemple, gagnent aujourd’hui près de trois fois plus (2,9 fois) que les ouvriers non qualifiés.
À qualification donnée, certains secteurs d’activité sont aussi plus rémunérateurs que d’autres. La composition de l’emploi a donc un impact direct sur le salaire moyen. Si la proportion de cadres augmente, le salaire moyen par emploi progresse mécaniquement, même sans hausse des salaires individuels. […]

Résultat : entre 1996 et 2020, l’effet de structure lié à la hausse de la qualification s’élève à 14,4 %. Du coup, la hausse du pouvoir d’achat fait pschitt : à peine 3 % en vingt-quatre ans (au lieu des 17,8 % affichés par l’Insee), autant dire rien (0,1 % par an). Attention aux trompe-l’œil ! À la longue, ça trompe énormément.

L’histoire ne s’arrête pas là, car la stagnation du pouvoir d’achat des salaires a commencé bien avant 1996.
En 1989, un rapport du Centre d’étude des revenus et des coûts (Cerc) – fermé en 1993 par Édouard Balladur, alors Premier ministre – soulignait déjà que le « très léger gain de pouvoir d’achat » observé entre 1982 et 1988 était entièrement dû « à la qualification croissante de la main-d’œuvre ».
C’était le résultat de la politique de modération salariale lancée par le gouvernement socialiste de l’époque à l’issue de la période de blocage des prix et des salaires en 1982-1985.
En 1996, une étude de l’Insee avait analysé les séries longues de salaire publiées par l’institut sur la période 1950-19956. L’étude confirmait et précisait le diagnostic du Cerc. Elle montrait qu’après avoir fortement augmenté entre 1951 et 1978 (de 3 % à 4 % par an), le pouvoir d’achat des salaires nets des différentes catégories de salariés avait « tendance à stagner depuis 1978, « voire à régresser dans la première moitié des années 1990. En conclusion, notait l’étude, depuis 1978 « l’augmentation du salaire net moyen s’explique intégralement par l’effet de structure ».

En résumé, depuis plus de quarante ans, si le pouvoir d’achat du salaire net moyen a légèrement augmenté, ce n’est pas parce que les salariés sont mieux payés. mais parce qu’ils occupent des emplois plus qualifiés.
Dit autrement. depuis 1978 le prix du travail a juste suivi la hausse de l’inflation. Pas de gain de pouvoir d’achat.

Le constat est encore un peu plus accablant, si c’est possible, du côté des salariés de la fonction publique. Avec une mesure du salaire net comparable à celle du secteur privé – une fois gommé le trompe-l’œil de la hausse du niveau de qualification -, le pouvoir d’achat du salaire net moyen a baissé de plus de 5 % entre 1990 et 2020. L’indice des traitements nets de la fonction publique – qui donne une mesure plus précise et plus complète de l’évolution du pouvoir d’achat à qualification constante – affiche de son côté une baisse de pouvoir d’achat de plus de 15 % sur les vingt dernières années.

Extraits d’un article de Pierre Concialdi dans Siné mensuel de février 2023.

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