Obéissance de masse

C’est une période dont on se souviendra tous. Beaucoup l’ont racontée, peu l’ont analysée. Trois ans après le premier confinement, deux sociologues dressent, dans L’Attestation, le bilan d’une période marquée par de très fortes restrictions de libertés. « Une expérience d’obéissance de masse », écrivent-ils, bien française, et qui n’avait finalement rien d’évident. Car pourquoi fermer les porcs quand les métros restaient ouverts ?

– Le premier confinement français commence le 17 murs 2020. Plus de trois ans après, très peu de personnes en parlent. Pourquoi avez-vous jugé important de revenir sur cette période que beaucoup aimeraient oublier ?

– Je ne pense pas que tout le monde voudrait l’oublier. Dans les relations amicales, et mêmes professionnelles, cette période revient souvent, car elle nous a énormément marqués. En revanche, ce qui nous a frappés, c’est l’absence d’enquête, de réflexion médiatique, politique, scientifique sur ce premier confinement. Non pas du point de vue sanitaire, mais du point de vue des libertés publiques. C’est la raison principale de notre enquête sociologique : proposer un bilan d’une politique qui a conduit à ces privations de libertés.

– Justement, le discours public a eu tendance à naturaliser le confinement à la française. C’était comme une évidence : il n’y avait pas d’autre solution. Vous démontrez l’inverse en préambule de votre livre.

– Beaucoup d’autres pays en Europe ont fait différemment. Était-il indispensable de boucler tout le monde ? Nous disons que non, pour différentes raisons, la principale étant que l’enfermement total n’a pas eu d’impact sur l’arrêt de la maladie. Ce n’est pas nous qui le disons, mais de nombreuses études épidémiologiques de premier plan. Malgré tout, n’importe quel homme politique nous rappellerait l’incertitude du moment, notre méconnaissance de la maladie à l’instant t. C’est vrai, mais la question demeure : pourquoi, chez nous, a été fait le choix de l’ordre et de l’enfermement total, alors qu’ailleurs – en Allemagne, en Hollande, au Danemark -, on a fait autrement ?

– La France faisait partie d’un tout petit groupe de pays qui avaient mis en place un système de surveillance de masse d’un type assez particulier. Bien sûr, dans des pays comme la Chine, la surveillance de masse était bien plus équipée, beaucoup plus dystopique. Mais la France s’est inscrite parmi les nations où ce qui était surveillé n’était pas le statut sanitaire des gens, mais le motif de leur sortie.

– Comment, alors, expliquer ce choix, dans un moment de crise et d’incertitude majeure ?

– On montre que la sévérité des enfermements est très liée à l’habitude de traiter les problèmes sociaux d’un point de vue policier, sécuritaire, en temps ordinaire. Elle est aussi inversement proportionnelle au respect des droits humains, tel qu’il peut être approché par différents indicateurs.

C’est notre conclusion : « L’enfermement est moins le produit de bonnes intentions que de vieilles habitudes. » Au Danemark, il y a 190 policiers pour 100 000 habitants, en France 320.

Début d’un entretien entre Pierre Jequier-Zalc et les deux auteurs, Nicolas Mariot et Théo Boulakia, dans Politis du 05 octobre 2023.

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