Nucléaire russe : un tabou européen

La guerre en Ukraine a propulsé le sujet de la dépendance énergétique de l’Europe au gaz russe dans le débat public, dans les foyers de nombreux pays et au cœur du Parlement européen. Les mesures de sevrage du gaz russe et les sanctions envers la Russie se succèdent, avec notamment un embargo sur le charbon. Le nucléaire, quant à lui, reste l’éternel oublié (voir l’oubli constant et discret du nucléaire civil sur France-Culture). Pourtant, la dépendance de l’Europe à l’industrie nucléaire russe est d’une envergure stratégique tout aussi importante que celle du gaz.

La livraison de centrales clés en main par Rosatom, géante de l’industrie nucléaire russe fondée par V. Poutine en 2007 pour servir ses ambitions géopolitiques, permet d’asseoir l’influence de la Russie dans les pays européens dotés de réacteurs russes, tout en renforçant son emprise sur la politique de transition énergétique du continent.

Dans son nouveau livre (Guerres cachées. Les dessous du conflit russo-ukrainien), le journaliste indépendant Marc Endeweld démontre comment les actions de l’Ukraine et son rapprochement de l’américain Westinghouse pour sortir de sa dépendance nucléaire à la Russie ont été un élément clé dans la décision de V. Poutine d’envahir l’Ukraine.
Alors pourquoi ce silence ? En France, les intérêts des industriels et la foi aveugle des hauts fonctionnaires dans l’énergie nucléaire y sont certainement pour beaucoup. Dans son rapport de mars 2022, Greenpeace France montre la dépendance de l’industrie nucléaire française à Rosatom, à tous les niveaux de la filière, et celle d’entreprises comme Vinci, Bouygues, Dassault Systèmes, Bureau Veritass… et bientôt l’usine de Belfort qui fabrique des turbines Arabelle équipant les centrales nucléaires russes.
Emmanuel Macron a été l’instigateur d’une alliance de pays européens pro-nucléaire et pro-gaz qui a fait pression pour l’inclusion du gaz fossile et du nucléaire dans la taxonomie européenne, ce guide des activités nécessaires à une transition énergétique pour faire face à l’urgence climatique.
La partie était presque gagnée, mais la guerre en Ukraine a rebattu les cartes. Le flagrant délit d’un financement de la guerre par les milliards payés par l’UE à la Russie pour acheter son gaz fossile risque de faire tourner au vinaigre le mariage du nucléaire et du gaz fossile.

Extrait d’un article paru dans la revue Sortir du nucléaire de l’été 2022.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *