Notre épargne au service d’intérêts privés

La création du livret d’épargne remonte à plus de deux siècles. Très vite, la question de la mobilisation de cette épargne par la puissance publique s’est posée. La centralisation des dépôts à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) a permis d’asseoir des emprunts sur ces dépôts pour financer le logement social ou d’autres missions d’intérêt général.

Il y a vingt ans, en particulier avec la financiarisation de l’économie, il est devenu insupportable à la finance privée que des capitaux lui échappent. La création du Codevi (aujourd’hui LDDS pour Livret de développement durable et solidaire), que toutes les banques pouvaient distribuer, n’a pas étanché la soif de ces dernières. D’autant que l’utilisation des fonds du Codevi était limitée au financement des PME. Au début des années 2000, un puissant lobbying des banques s’est développé – au nom d’un supposé déséquilibre concurrentiel – pour pouvoir distribuer le livret A et profiter de ses ressources. En 2007, la Commission européenne a donné raison aux banques. Et c’est au 1er janvier 2009 que la réglementation leur a permis de placer des livrets A. Jusqu`à cette date, seules les Caisses d’Épargne et La Poste avaient le monopole de leur distribution (tandis que le Crédit mutuel distribuait un produit d’épargne populaire semblable, le livret bleu).

Et les banques ont fini par avoir la possibilité de conserver 40 % des fonds déposés sur les livrets. À l’inverse, 60 % des fonds environ sont centralisés à la CDC pour couvrir des besoins de financement public ou para-public dont le logement. Il y a quelques mois, le gouvernement, qui entend construire de nouveaux EPR, a indiqué compter sur un financement via des fonds centralisés à la CDC. Ce sont rien de moins que 500 milliards d’euros d’épargne qui sont collectés par les différents livrets (livret A, LDDS, LEP). Sur ces 500 milliards, 300 sont déposés à la CDC. Ils permettent de financer le logement social, les collectivités locales… C’est sur ces fonds que le gouvernement lorgne pour financer la construction de « ses » EPR.

Mais 200 milliards restent dans les coffres des banques. C’est à partir de ces fonds qu’un article niché dans la loi de finances 2024 envisageait, à la fin de l’année dernière, l’octroi de crédits pour les PME qui travaillent dans le secteur de l’armement. Cette disposition plus que discutable a suscité fort heureusement le lancement d’une pétition. Elle est à retrouver sur notre site et sur change.org.

La disposition en question ayant été maintenue tant par l’Assemblée que par le Sénat, le Conseil constitutionnel pouvait être valablement saisi de ce qui apparaissait à bien des égards comme un cavalier législatif. C’est ce qu’ont fait les quatre groupes de gauche de l’Assemblée. La décision favorable a été rendue fin décembre. Le Conseil a en effet considéré que cette disposition ne pouvait être incluse dans une loi de finances, tout en précisant qu’une autre loi pourrait y revenir. Après cette victoire provisoire, la vigilance doit donc rester de mise.

En tant que citoyennes et citoyens, nous avons le droit d’intervenir pour apporter notre avis sur l’utilisation de notre épargne. Pour la GDS, elle doit avant tout aller au social et aux missions d’intérêt général (logement, hôpitaux, collectivités locales, transition écologique…).

Article de Christian Normand dans le mensuel de la Gauche Démocratique et sociale de janvier 2024.

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