Nationalité, valeurs et racisme

Pour acquérir la nationalité française, il y a toujours eu cette condition d’être au minimum « assimilé » à la communauté qui partage certaines valeurs. On peut comprendre qu’on exige des personnes qui veulent devenir françaises qu’elles respectent les lois de la République. Mais le respect des valeurs, notamment, c’est autre chose que le respect des lois. Ces valeurs sont floues.
Par exemple, si l’on parle de l’égalité hommes-femmes, on sait très bien que la majorité des hommes qui nous gouvernent ne la pratique pas. On se souvient de Laurent Fabius qui, lorsque Ségolène Royal se porte candidate à la primaire socialiste, demande : « Qui va garder les enfants ? », ou des députés de droite qui sifflent Cécile Duflot, alors ministre du Logement, lorsqu’elle se présente à l’Assemblée en robe à fleurs.
Nos gouvernants exigent des personnes étrangères qu’elles respectent des valeurs d’égalité ou de fraternité qu’eux-mêmes bafouent au quotidien. Ces règles et ces discours sur les valeurs sont dangereux aussi parce qu’ils sont facteurs d’arbitraire. Aujourd’hui, les
étrangers musulmans sont les premiers visés, ils sont systématiquement soupçonnés de ne pas partager « nos valeurs ».
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Dans les années 1970, l’enfermement administratif était marginal. Aujourd’hui, 50 O00 personnes sont placées dans les centres de rétention administrative (CRA) chaque année et cela semble « normal », conforme à l’idée largement véhiculée que les étrangers sont des délinquants. Mais ces personnes sont simplement étrangères et dépourvues de droit au séjour. Ce sont aussi des personnes pauvres. Parce que, lorsqu’on est riche, on ne va pas dans ces lieux. L’argent dissout les problèmes administratifs.
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Le concept de nationalité est récent. Il n’a que 150 ans ! Et la carte d’identité n’est vieille que d’un siècle. Avant 1921, l’État n’était pas capable de dire qui était français et qui était étranger. C’est une construction politique pour asseoir un pouvoir qui, aujourd’hui, va vers la fascisation. Ce que l’on a construit en une centaine d’années, il faut absolument le déconstruire. On parle de « carte nationale d’identité » comme si la nationalité était constitutive de notre identité. Mais non ! Il faut absolument imaginer et expérimenter d’autres manières de faire communauté et laisser tomber cette idée de nationalité qui aboutit forcément au racisme.
Dans les faits, la nationalité nie la devise républicaine en plaçant la filiation comme critère premier de l’appartenance à la communauté politique. Surtout quand l’État utilise le droit, le contourne et le viole constamment pour asseoir sa légitimité. La France est régulièrement condamnée par la CEDH pour avoir enfermé des enfants en CRA, mais elle continue. L’administration ne respecte pas les décisions de justice : avec la dématérialisation des services publics, énormément d’étrangers n’arrivent pas à prendre rendez-vous en préfecture. Ils sont obligés de saisir un juge pour obtenir un rendez-vous, celui-ci enjoint à la préfecture de l’organiser, mais rien ne se passe !
L’administration est décomplexée, elle assume de ne pas respecter les règles et les décisions de justice. Face à l’État, les personnes étrangères ne pèsent pas lourd dans le rapport de force. Et tout le monde se fiche que l’État viole le droit à leur encontre. Donc ça continue. Imaginez que l’État viole systématiquement les droits des super-riches… Les réactions ne tarderaient pas et, surtout, c’est inimaginable !

Extraits d’un entretien de Karine Parrot dans Politis du 21 septembre 2023.

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