Mépris sexiste à l’assemblée

Comme une impression d’effet miroir.
Alors que la réforme des retraites précariserait encore plus les femmes, pendant neuf jours de débats à l’Assemblée nationale, les attaques sexistes à l’encontre des députées de la Nupes ont fusé. Railleries. interpellations. Commentaires sur la voix, les tenues ou les postures, sur la lecture trop attentive ou bien trop détachée des fiches. Les élus s’en sont donné à cœur joie. Pour intimider, déstabiliser.
Pour faire taire, aussi ? « Dès que je parle, le brouhaha monte. Je suis obligée de crier pour être comprise. Sinon, on ne m’entend tout simplement pas », pointe Sandrine Rousseau, particulièrement ciblée par ce comportement.

Si les replays vidéo de certains moments permettent de se rendre compte de l’attitude de députés -tantôt frappant sur leur pupitre pour gêner l’oratrice, tantôt levant le doigt en hurlant -, les comptes rendus des débats tenus dans l’hémicycle contribuent à documenter ce qui apparaît comme une domination masculine systématique. Selon un comptage exclusif que Politis a réalisé, lorsque la parole des femmes est coupée durant les débats sur la réforme des retraites, c’est 77 % du temps par des hommes. Un chiffre qui grimpe à 79 % lorsqu’on s’intéresse aux prises de parole des députées de la Nupes. Cela, alors que les députés masculins ne représentent « que » 62 % de l’ensemble des parlementaires.
« Plusieurs études ont montré qu’en politique, quand les hommes parlent, les femmes écoutent. Mais la réciproque n’est pas du tout vraie et le brouhaha est important quand elles prennent la parole », explique Catherine Achin, politologue et coautrice de Femmes en politique.

À l’Assemblée, parler et se faire entendre est un sport de combat. Un rapport de force inégal quand on est seule face à plusieurs dizaines d’élus fiers de mener leur entreprise de perturbation. Dans cette arène, la voix est l’instrument du pouvoir à malmener. « La voix aiguë, les députés détestent ça. On nous demande de nous adapter . » « Il faut que tu travailles ta voix », « Essaie d ‘avoir une voix plus grave », « Sois plus posée », décrit Ersilia Soudais, députée insoumise de Seine-et-Marne.
Une violence qui trouve des échos avec celle commise sur les réseaux sociaux. L’élue de la Nupes peut en témoigner. Le 19 février, le président d’honneur de la Licra, Alain Jakubowicz, commente piteusement la tenue de la députée sur Twitter. En réponse, le groupe insoumis, par l’intermédiaire de sa présidente, Mathilde Panot, a écrit à Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale. « Ces attaques nauséabondes prospèrent sur un climat d’intimidation à son encontre qui s’est installé jusque dans l’Hémicycle », indique
ce courrier que Politis a pu consulter.
« Ainsi, chaque prise de parole de Mme Soudais est désormais le théâtre affligeant d’un vacarme nourri de huées, de railleries et d’autres manifestations médiocres, provenant notamment des bancs de la majorité. » Ainsi en va-t-il du député Renaissance Sylvain Maillard, qui lui lance « Arrête de lire ta fiche ! » Ou de Bruno Millienne (Modem), interpellant la députée socialiste Sophie Taillé-Polian : « On se calme, on se calme… » Ou bien encore d’Éric Poulliat (Renaissance), en direction de Sandrine Rousseau : « Arrête de crier, on n’est pas sourds ». Les élus Les Républicains (LR) ne sont pas en reste. Aurélien Pradié, tout fier de proposer une loi sur la mise en place de juridictions spécialisées en matière de violences sexistes et sexuelles, à l’automne dernier, intime, trois mois plus tard, cet ordre à plusieurs reprises à Ersilia Soudais : « Doucement, on respire… » Son collègue de la Manche Philippe Gosselin, sur le même mode : « Calmez-vous, vous allez vous étouffer ».

« Certaines députées de la Nupes n’appartiennent pas au modèle de représentation habituel, la plus emblématique d’entre elles étant Rachel Keke », analyse la politologue Frédérique Matonti, autrice du Genre présidentiel. Enquête sur l’ordre des sexes en politique. « Donc elles sont ramenées au fait qu ‘elles seraient vulgaires, grosses, mal habillées… Ces femmes sont traitées de manière particulièrement virulente car elles ne ressemblent pas aux représentations bourgeoises des élues. »

Début d’un article de Politis du 09 mars 2023.

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