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L’oligarchie et la corruption
Antoine Peillon est un journaliste engagé. À travers ses livres, ses enquêtes, ses articles, il traque sans cesse la corruption, la fraude, la triche. Ces maux rongent, mais de manière très peu visible, les fondements de notre démocratie. Son travail montre que la France est touchée en profondeur, et que notre hexagone n’a rien à envier à la botte italienne. Mais la corruption n’est pas que l’affaire des autres, elle nous concerne tous, et se développe grâce à notre manque de réaction… (…)
Qu’est-ce qui différencie la corruption, dont on parle si peu, de la délinquance ordinaire dont on parle tant ?La corruption est cachée, secrète. La délinquance, elle, est visible. Le pacte de corruption est un arrangement, un contrat souvent oral, qui n’a pas de matérialité, entre des personnes. Qu’elle soit cachée la rend plus dangereuse pour la confiance, car elle contourne totalement la loi. Ensuite, il y a une sociologie de la corruption. Elle ne concerne que les élites ou ceux que les sociologues appellent
l’oligarchie. La délinquance ordinaire couvre l’ensemble du champ social. (…)Pour la fraude fiscale, une procédure judiciaire ne peut être déclenchée que sur la décision de la commission des infractions fiscales dite
verrou de Bercyau ministère des Finances. Et la composition de cette commission est secrète ! De ce que j’arrive à savoir, elle est composée de hauts fonctionnaires dont quasiment tous ont été attachés à des cabinets ministériels ou à des personnalités politiques d’un camp comme de l’autre, même si elle penche plutôt à droite. C’est une cellule administrative discrétionnaire qui décide seule de transmettre ou non un dossier au procureur. (…)La mondialisation a comme principal outil les transferts financiers complètement libéralisés. Sans aucun contrôle d’aucune sorte. Elle a été le facteur multiplicateur de la corruption. Elle a permis de dissimuler plus facilement des sommes incroyables à travers le monde entier dans tous les paradis fiscaux. (…)
Quelques dizaines de personnes sont à l’origine des 80 milliards de fraude fiscale. Elles sont suffisamment puissantes pour empêcher le pouvoir politique d’agir contre elles. J’en ai été le témoin. Un député socialiste, Yann Galut, se lance à Noël 2012, à la suite de la lecture de mon livre, dans une proposition de loi contre la délinquance financière et la fraude fiscale internationale. Il fait son boulot de façon remarquable et dépose une proposition de loi solide, comprenant, par exemple, la suppression du verrou de Bercy. En pleine affaire Cahusac, le gouvernement en comprend l’intérêt politique. Yann Galut devient le rapporteur d’un projet de loi copiant sa proposition. Et pendant six mois, on assiste à la destruction systématique de tous les dispositifs sérieux de répression de cette fraude par
les hommesde Bercy. Ils convoquent chaque semaine les députés intéressés par le sujet. Les patrons du groupe socialiste se livrent à des intimidations sur leurs collègues qui y croient.
Extraits d’un entretien de la rédaction de Siné mensuel (numéro de janvier 2015) avec Antoine Peillon.