L’image erronée des ruraux

Benoît Coquard « Car les discours sur la ruralité ne sont pas tenus par les gens qui y habitent. Ce sont les populations au plus haut capital culturel, proches des institutions, qui produisent l’image de ce monde social. C’est d’ailleurs une constante sociologique. Quand il étudiait la petite paysannerie du Béarn dans les années 1970, Bourdieu parlait de « classe-objet » pour parler de cette manière « d’être parlée » par d’autres – les politiques, les journalistes, ou les populations diplômées des grandes villes parties vivre en campagne.
Plus récemment, durant le Covid, on a pu voir des écrivains et des écrivaines s’épancher sur leur rapport à leur maison secondaire, leur désir de déconnexion… Ces personnes produisent des discours sur la vie rurale tandis que les gens du coin, ouvriers ou employés, dont les familles sont parfois là depuis 1oo ans, ne maîtrisent pas le langage légitime pour en parler. La campagne est donc « parlée » depuis un prisme urbain, néorural et bourgeois. On entend dire qu’il faudrait ouvrir des « tiers-lieux », faire plus de démocratie participative ou mieux connecter la campagne aux grandes villes par le TGV. Alors que les classes populaires rurales souhaiteraient surtout être mieux payées pour mettre de l’essence dans leur voiture… »

Nicolas Renahy « Les discours sur la ruralité vont souvent s’accompagner d’un mépris de classe à propos des populations qui l’habitent. Ce sont des « bouseux » que l’on considère comme inférieurs, éloignés de tout, « sans culture ». Et qu’importe s’ils ont des pratiques culturelles et que nombreux sont ceux à être engagés dans des associations, de pêche ou de foot par exemple. Les classes supérieures ne considèrent pas ça comme de la culture légitime. »

Yaëlle Ansellem-Mainguy « C’est encore pire pour les femmes ! On ne considère pas les jeunes filles que j’ai rencontrées dans le cadre de mes recherches comme « engagées ». Alors que sans elles, leur mère, et même leurs grands-mères, pour assurer la logistique de certains évènements locaux, aucune fête de village ne pourrait exister ! Pendant ce temps, les politiques organisent des évènements sur « le désengagement des jeunes ». Si les formes d’engagement déjà existantes sont à ce point niées, c’est qu’elles ne répondent pas à la définition légitime de l’engagement selon les classes bourgeoises. D’autant que ces jeunes ne crient pas sous tous les toits qu’ils et elles sont « engagé-es » ici ou là ni ne cherchent à le valoriser sur une ligne de CV, contrairement à leurs homologues des classes supérieures. »

Extrait d’un dossier « ruralité » dans le mensuel CQFD d’avril 2025.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *