libre-échange et sobriété

Au cours des deux derniers siècles, il y a eu dans le monde des phases de libre-échange et des phases de protectionnisme. Nous sortons d’une phase tournée vers le libre-échange et je crois que nous allons vers plus de protectionnisme. Depuis la crise de 2008, la dépendance extérieure aux importations a baissé en Chine, en Inde, en Russie, aux États-Unis. Le protectionnisme revient partout dans le monde. Il n’y a que des pays comme la France ou l’Allemagne qui ont encore augmenté leur dépendance aux importations. Le mot protectionnisme, qui était très mal connoté il y a encore quelques années, fait aujourd’hui partie du langage courant.

Tu évoques un sens de l’histoire récente vers plus de protectionnisme. Pourquoi aujourd’hui ?

Il faut en avoir conscience : le libre-échange sympathique qu’on nous a présenté, mais qui avait quand même pour but de perpétuer des inégalités mondiales qui nous arrangeaient, de consommer plus pour pas très cher, en délocalisant les pollutions, eh bien ce modèle-là est fini. Tout simplement parce que les autres pays dans le monde ne veulent pas rester dans la division du travail qu’on leur a imposée. L’Indonésie, par exemple, interdit maintenant l’exportation d’un de ses métaux car elle veut elle-même fabriquer les produits qui en découlent. Évidemment : les pays qui ont des normes sociales et environnementales moins élevées que les nôtres sont tout aussi capables que nous de monter en compétence. Mais c’est aussi l’opportunité pour la France de changer de modèle.

Un autre obstacle, c’est les gens. La sobriété, est-ce qu’ils y sont prêts ? Est-ce qu’ils la souhaitent ?

C’est effectivement une question clé, mais les enquêtes d’opinion montrent que la plupart de Français, y compris dans les classes populaires, ont conscience que notre niveau de vie n’est pas soutenable. En fait, la question majeure, c`est celle de la répartition. En gros, cela fait plusieurs décennies qu’on demande à la population française des efforts au nom de la compétitivité : voir stagner les salaires, accepter plus de flexibilité dans le travail, et donc plus de précarité, etc. Si on leur dit « désormais, il va falloir faire des efforts au nom de la sobriété, au nom de 1’écologie », au nom de ce que vous voulez, c’est clair, ça ne va pas passer.
Donc, pour enclencher le mouvement, il faut que l’essentiel des efforts, au moins au début, soit demandé aux classes supérieures. Ne serait-ce que parce que ce sont les classes supérieures qui, en termes d’empreinte écologique en général, ont le poids le plus important. Les 10 % des ménages du haut émettent deux fois plus de carbone pour le logement et le textile, trois fois pour les transports, quatre fois pour les biens d’équipement. Ça doit être aux classes supérieures de regarder le mode de vie des classes populaires pour s’en inspirer !

Entretien de Benjamin Brice (La Sobriété gagnante) dans le journal Fakir de mai 2023.

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