L’humain déshumanisé

« Sauver des vies, quoi qu’il en coûte ». On ne peut, à priori, trouver de principe plus louable, plus humaniste. Mais à l’épreuve des faits, cette fin (sauver des vies) justifie-t-elle tous les moyens ? Le « quoi qu’il en coûte » n’est-il pas problématique ? Lors du premier confinement, dictatures comme démocraties ont pris des mesures radicales pour « sauver des vies », tant en matière économique qu’en matière de libertés. Si l’on s’attarde sur les mesures restreignant les libertés, les dictatures ne se sont pas posées de questions éthiques, et ont utilisé tout leur arsenal répressif pour limiter la diffusion du virus. Le cas de la Chine est impressionnant à cet égard, ce qui a fait dire à feu Axel Khan ; « en contexte de pandémie, la démocratie est un inconvénient ». Ainsi, faire de la préservation de la vie une valeur supérieure à toute autre chose peut justifier la dictature. Elle peut également justifier, on l’a vu en France lors du premier confinement, des actes qui relèvent d’une forme de barbarie : comment qualifier autrement l’interdiction faite aux proches d’un mourant de rendre une « dernière visite », ou d’assister aux obsèques ? Comment expliquer ce paradoxe, d’une valeur démocratique par excellence, qui semble se retourner contre elle ?

Pour le philosophe Olivier Rey, notre époque a tendance à réduire la « vie » à sa dimension biologique. C’est seulement cette vie biologique que les États se sont employés à défendre, en la plaçant au-dessus de tout, quitte à nier la nécessité des autres dimensions de l’existence, à commencer par le sens qu’on peut lui donner. Or, « un homme qui n’est plus rien qu’un homme n’est plus un homme », disait Hannah Arendt. Mais encore ? « Un individu privé de sa capacité à exercer ses attributs spécifiquement humains – sa socialité, ses projets, sa liberté, son métier, son ouverture aux autres, ses aspirations – finit en général par s’étioler et par se déshumaniser », commente la philosophe Alexandra Laignel Lavastine (La Déraison Sanitaire).

Extrait d’un article de Fabien Ginisty dans l’âge de faire d’octobre 2021.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *