L’homme est un loup

– On connaît la célèbre phrase : « l’homme est un loup pour l’homme ». Mais l’homme est pire qu’un loup pour l’homme.

– Cette phrase a été reprise de l’Antiquité par Thomas Hobbes qui considérait que les hommes étaient tellement méchants qu’il fallait les protéger, et donc qu’il fallait un État pour y parvenir. Je pense comme vous et Rousseau que c’est l’inverse : « l’homme est naturellement bon mais la société actuelle le rend méchant. » En effet, les chasseurs-cueilleurs étaient nomades et travaillaient
deux à trois heures par jour d’après les ethnologues (ce que j’ai pu constater chez les Pygmées). Après la révolution néolithique, le temps contraint exige trois fois plus de travail. La nourriture
augmente et la population aussi. Il faut alors stocker les réserves contre les pillards et les sociétés dites « égalitaires » deviennent inégalitaires. Les chefs, jusque-là symboliques, deviennent des tyrans.
La violence a toujours existé mais la guerre apparaît seulement au néolithique, puis l’armée et la police. L’individu s’inquiète et les dirigeants lui font expliquer par des penseurs comme
Hobbes qu’il faut un État pour le protéger, puisque l’homme est naturellement mauvais. . .

[…]

– On est trop nombreux pour redevenir des chasseurs-cueilleurs…

– Bien sûr, mais regardez Notre-Dame-des-Landes ! La vraie trouille des autorités, ce ne sont pas les « casseurs », comme ils disent. Leur crainte, c’est de voir se développer une contre-société avec des codes radicalement différents. Et, marginalement, cela va se développer de plus en plus. Pas question de prendre le pouvoir comme on l’imaginait en 36. On n’arrivera pas à remplacer nos hommes et femmes politiques qui sont imbattables dans leur pratique de la langue de bois. En revanche, on peut vivre de peu en dehors du système, d’une manière raisonnable qui nous satisfasse.

– La notion de progrès ne vous dit rien qui vaille…

– On nous a piégés avec le progrès. Regardez le grand débat Rousseau contre Voltaire. Voltaire avait raison à son époque : l’avenir était souriant et le progrès libérateur. Mais autant Rousseau se ridiculisait en son temps, autant il redevient d’actualité, parce qu’il a vu plus loin, que ça ne pouvait pas aboutir à une solution durable. Et c’est lui qui est en train de gagner.

Extraits d’un entretien entre Benoît Delépine (rédaction de Siné Mensuel) et Pierre Jouventin dans Siné mensuel de juillet-août 2018.
Lire aussi La religion du progrès.

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