Les terroristes de la FNSEA

« En Bretagne, intimider ceux qui critiquent l’agro-industrie est systémique », témoigne Nicolas Legendre, journaliste et auteur de Silence dans les champs. Dans les médias, faire part des critiques du modèle agricole dit dominant ou industriel, enquêter sur les pratiques d’exploitations agricoles et industriels ou même donner la parole à des opposants au syndicat majoritaire, la FNSEA, est mal vu. Très mal vu.
Le risque ? Au mieux : se couper de ses sources d’information, notamment dans la presse locale. Au pire : procédure bâillon, menace, intimidation, harcèlement voire sabotage de voiture ou violence physique comme l’ont vécu plusieurs journalistes tels que Morgane Large et Inès Léraud ou ceux de l’émission « Envoyé spécial », lors d’une enquête dans les Bouches-du-Rhône sur les conditions de travail et d’hébergement des travailleurs d’origine étrangère.

À ces freins, pour les personnes et les médias qui font face à des procès, s’ajoute une difficulté à accéder à des informations et à des témoignages alors qu’il règne souvent une « omerta », selon les mots de Nicolas Legendre, notamment pour parler de suicides, d’empoisonnements ou de conséquences de l’utilisation de pesticides, de conditions de travail, de bien-être animal ou encore d’environnement.
L’industrie de la chimie et les lobbies agro-industriels, mettent également en œuvre des campagnes pour discréditer le travail des journalistes et produire du doute. L’association Les Z’homnivores, vitrine des industriels bretons de la viande, publiait ainsi en juin dernier une note décrivant Nicolas Legendre en militant de la « post-vérité », d’ « ultra-gauche », en « croisade personnelle [pour] la fin de l’agriculture et la production alimentaire en Bretagne ».

Enfin l’État, notamment depuis la création de la cellule Demeter en 2019 (une collaboration entre la gendarmerie et les syndicats agricoles FNSEA et JA entrave le travail des associations et des journalistes sur les questions agricoles et environnementales. C’est ce qu’a notamment révélé la journaliste allemande Bettina Kaps en 2021 : après un échange avec un agriculteur, celui-ci appelle des gendarmes qui l’obligent à effacer l’enregistrement de sa conversation.

Ces freins rendent d’autant plus nécessaire l’engagement collectif pour poursuivre ce travail d’information et d’investigation, comme l’ont rappelé les participants à un débat sur ce sujet, organisé par Basta! le 19 juin dernier à Paris. Pour Guillaume Coudray, journaliste d’investigation et auteur de plusieurs livres sur les nitrites dans les viandes, ces enquêtes sont nécessaires, car elles peuvent faire bouger les lignes comme le montrent les débats publics et les lois issues de travaux sur les nitrites ou le nutriscore, un étiquetage nutritionnel des produits alimentaires. Mais il faut pour produire ces enquêtes s’appuyer sur des connaissances scientifiques, devenir soi-même expert face au travail « de falsification de la science » des lobbies, estime-t- il. Ce travail d’investigation est long, coûteux et compliqué. Transrural n’a pas comme objectif premier de réaliser ces investigations et a peu de moyens. Mais nous pouvons le mener en collaboration avec des associations, des organisations paysannes, des scientifiques et des collectifs de journalistes ou médias. Il nous revient aussi, dans le traitement de ces informations, de sortir du « fait divers » de veiller à décrypter et expliquer les logiques systémiques et la place des politiques publiques, pour ne pas jeter en pâture au public de simples noms.

Article de Fabrice Bugnot dans Transrural initiative de novembre-décembre 2023.

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