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Les origines du capitalisme
C’est en Angleterre que le capitalisme a d’abord émergé. Incapable de rétablir le servage et possédant de vastes terres à la suite de la conquête normande de 1066, l’aristocratie anglaise s’est tournée vers la mise en valeur de ses grands domaines. Elle a loué au prix fort ses terres aux plus riches paysans. Pour pouvoir payer leurs baux fonciers, ceux-ci ont dû se tourner vers le marché (national) et se spécialiser pour rester compétitifs.
Cette dépendance complète au marché des deux classes dominantes agraires, l’ancienne et la nouvelle, a poussé celles-ci à déposséder la paysannerie, dont l’exploitation féodale était devenue moins rentable que l’exploitation capitaliste des terres et des salariés agricoles. Le processus de dépossession a pris plusieurs siècles ; l’Angleterre n’en fut pas moins capitaliste bien avant la Révolution industrielle (1760 – 1840). C’est cette compétition généralisée entre acteurs économiques, d’abord agricoles, puis industriels, qui entraîna une forte croissance économique, fiscale, financière de l’État anglais. Forte d’un budget militaire supérieur, l’Angleterre devient progressivement la première puissance militaire mondiale.
Cette montée en puissance de l’Angleterre met en crise ses rivales, à commencer par la France de l’Ancien Régime, dont les fréquentes guerres avec l’Angleterre aboutissent à la banqueroute et à la Révolution française de 1789. Dès la fin de l’Ancien Régime, l’élite administrative inspirée par le modèle anglais a tenté des réformes de dérégulation et d’unification légale des marchés. Toutefois, ce n’est qu’à la Révolution que ces projets de réforme aboutissent. Mais si la Révolution française est bien une « révolution bourgeoise » en ce qu’elle porte au pouvoir la bourgeoisie d’Ancien Régime, cette bourgeoisie, principalement administrative et rentière, continue de s’enrichir principalement comme sous l’Ancien Régime, en exploitant la paysannerie par le biais de l’impôt et de la rente foncière.
Cela tient à deux raisons : d’une part, la bourgeoisie d’Ancien Régime n’a jamais aspiré qu’à moderniser l’Ancien Régime sur un mode non-capitaliste, à partager le fardeau fiscal avec l’aristocratie et à s’enrichir aux dépens des paysans en tant qu’hommes d’État et propriétaires fonciers.
D’autre part, la paysannerie française a réussi de haute lutte à accroître son patrimoine foncier en rachetant les terres de l’aristocratie et du clergé dépossédés par la Révolution, et les artisans français à reconduire sous une autre forme, notamment via les Prudhommes, les régulations d’Ancien Régime, qui leur assurent un contrôle significatif sur les moyens de production, le procès de travail et le prix de vente des produits.
Ce n’est qu’avec le Second Empire de Napoléon III, soucieux de refaire de la France une grande puissance capable de rivaliser avec l’Angleterre, que l’État va entreprendre une série de réformes décisives : création d’un marché national compétitif via le chemin de fer et traités de libre-échange avec le reste de l’Europe d’une part, et, pour permettre aux entreprises françaises de rester compétitives, prise de pouvoir sur le processus de production par les industriels via la destruction des régulations existantes par la Cour de Cassation d’autre part.
Le capitalisme industriel français était né, même s’il faudra attendre les années 1960 pour que l’agriculture française, encore partiellement indépendante du marché du fait de la persistance d’une paysannerie partiellement autosuffisante, se mette au diapason par une série de réformes structurelles aboutissant à l’endettement croissant des exploitations agricoles et à leur complète dépendance au marché.
Article dans Alternative Libertaire de septembre 2024.