Les médias au service des dominants

[…] c’est sans doute son analyse des journaux d’information ou populaires – le second idéal-type distingué par Gramsci – qui est la plus utile pour penser les médias aujourd’hui. Contrairement à la presse d’opinion dont le rôle est d’homogénéiser politiquement et idéologiquement les bourgeois, la presse d’information est différente, destinée à un lectorat populaire, et ne défend pas ouvertement des positions politiques. Il s’agit surtout de donner un contenu simple aux groupes subalternes, dans un but d’abord commercial, mais avec pour effet de les maintenir dans leur situation de subalternité.

Le journal d’information type, s’il est facile à lire, est généralement de mauvaise qualité, et il met l’accent sur les faits divers, les chroniques locales, les romans-feuilletons, etc. Il « offre quotidiennement à ses lecteurs les jugements sur les événements en cours en les ordonnant et les rangeant sous diverses rubriques » (extrait des Cahiers de prison de Gramsci), c’est-à-dire cadre l’information d’une manière biaisée. Plus encore, il communique de nombreux clichés et préjugés, en particulier nationalistes.

Ce type de presse favorise l’hégémonie des classes dominantes à plusieurs égards. Elle constitue une diversion (faits divers violents, etc.), qui détourne les subalternes d’une réflexion sur leur situation socio-économique concrète. Elle donne une image distordue de la réalité sociale dans son ensemble, qui empêche d’identifier et de combattre les sources véritables de l’exploitation et de la domination. Et elle contribue à diffuser au sein des classes populaires des idéologies nationalistes, racistes, etc., ainsi qu’un sentiment fataliste faisant penser qu’il est impossible de modifier l’état de choses existant.

Même s’il faut en général éviter de plaquer les analyses de Gramsci sur la situation contemporaine, le parallèle avec les chaînes d’information saute ici aux yeux ! Non seulement en raison du traitement biaisé et sans recul des événements et du jeu sur l’émotion (ce qui dans le cas de la télévision est accentué par le rôle de l’image), mais aussi parce que les discours d’extrême droite, racistes et en particulier islamophobes y ont de plus en plus cours.

Extrait d’un entretien de Yohan Douet dans le numéro d’avril 2021 de Médiacritique(s), magazine trimestriel d’Acrimed.

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