L’égalité des chances à l’école

La décision prise en 2008 de supprimer une matinée de classe à l’école primaire française en ramassant les 24 heures de classe sur quatre lourdes journées de six heures a été une folie, une exception mondiale qu’aucun pays n’a depuis songé à imiter, puisque tous les enfants de la planète ont aujourd’hui, comme chacun devrait le savoir, une semaine scolaire organisée sur au moins cinq jours. Le retour à la semaine de quatre jours en 2017 (après une parenthèse de quatre ans) est une erreur majeure que nous paierons très cher un jour ou l’autre.

En 2012, il y avait pourtant une unanimité (Académie de médecine, organisations syndicales et de parents d’élèves réunies dans l’appel de Bobigny, commissions parlementaires, etc.) pour le retour de la semaine de cinq jours. Vincent Peillon a courageusement engagé la réforme mais n’a pas reçu beaucoup de soutien politique, il faut le reconnaître. Est-ce parce que nous donnions la priorité à l’intérêt des enfants et, singulièrement, à ceux des milieux populaires qui n’ont que l’école pour s’émanciper, et que nous dérangions alors l’agenda des classes moyennes et favorisées ?
La réponse est contenue dans cette enquête officielle du ministère qui, en 2017, interrogeait les parents sur leur préférence. Le résultat est sans appel : les parents les plus favorables à la semaine de quatre jours sont ceux des classes moyennes et favorisées (leurs enfants ont souvent un emploi du temps démentiel le mercredi entre le conservatoire, le club de tennis ou une officine de soutien scolaire payant et défiscalisé). Qui se soucie de ce que font les enfants des milieux populaires quand ils ne sont pas a l’école ?

[…]

Oui, disons un mot de cette politique d’exfiltration qui est d’un rare cynisme : on aide les plus « méritants » des milieux défavorisés (tant mieux évidemment pour la minorité qui en profite) et on renvoie les autres à leur responsabilité individuelle. Il suffit de traverser la rue, n’est-ce pas ? En outre, peut-on parler de fraternité budgétaire dans un pays qui dépense plus pour cloner et préserver ses élites que pour élargir la base sociale de la réussite scolaire ? Comme disait le philosophe Alain : « Admirable égalité qui donne tout à ceux qui ont déjà beaucoup. »
Comment prétendre à une citoyenneté partagée par la jeunesse quand une partie d’entre elle se rend très vite compte que le collège qui l’accueille n’a pas été pensé pour tous mais uniquement pour les élèves qui sont programmés pour la voie générale du lycée ? Comment, enfin, expliquer que, chaque fois que l’on veut progresser dans la démocratisation de la réussite et, par exemple, dans la mise en œuvre d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, on soit immédiatement accusé de « nivellement par le bas » par ceux qui veulent garder les positions acquises par leur classe sociale ? Le « bas », c’est-à-dire le peuple. Quel mépris !

Extraits d’un entretien de Jean-Paul Delahaye dans un hors-série « école publique » de Politis de juillet-août 2023.

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