Le plein-emploi néolibéral

Le plein-emploi : en bon néolibéral, Macron s’appuie sur cet horizon, forcément désirable sur le papier, pour mener à bien sa sale besogne. Car, de son point de vue, le plein-emploi, c’est la pleine activité capitaliste, c’est la fin des statuts (dans la Fonction publique, comme dans le secteur privé), le règne généralisé de la précarité, le risque, pour chaque salarié, de tout perdre au moindre refus ou à la moindre difficulté. Bref, le plein-emploi de Macron, c’est la soumission totale et inconditionnelle du monde du travail à la loi du profit. Il n’y a rien d’émancipateur et d’enviable, dans cet idéal-là.

[…] D’où les énièmes rabotages de droits que viennent de connaître les chômeurs et que l’on cherche à imposer, ces derniers temps, aux bénéficiaires du RSA. Dans la start-up nation, on ne veut plus de salariées ou de salariés privés d’emploi : on veut des auto-entrepreneurs corvéables à merci (et par eux-mêmes, de surcroît !), des précaires prêts à « prendre » n’importe quel job, des salariés qualifiés[…] Quant aux ultra-pauvres, aux marginaux et autres losers « éloignés de l’emploi », qu’ils aient au moins la décence de se faire discrets et de ne rien demander à la société. Il ne manquerait plus qu’ils réapparaissent sur les radars des statistiques !
Dans la continuité des quinquennats de Sarkozy, mais aussi de Hollande-Ayrault-Valls, qui avaient, eux, échoué à « inverser le courbe », Macron s’ingénie à augmenter la précarité du travail pour faite « baisser » les chiffres du chômage – non le phénomène -, et créer ainsi l’illusion du plein-emploi. Jaurès avait décidément raison en affirmant : « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots » !

[…] Ainsi, selon un récent sondage lfop, seul un salarié sur cinq estime actuellement que le travail est « très important », contre 60 %, en 1990.
D’après La Dépêche, il y a quelques semaines, un « marcheur » de la première heure se lamentait de la sorte : « On a été élu sur l’idée du travail émancipateur; or, aujourd’hui, le travail est perçu comme une contrainte ». […]

Face à ce pouvoir qui, main dans la main avec le Medef, affirme qu’un chômeur et un bénéficiaire du RSA ne produisent rien, qu’une jeune n’est bon qu’à faire des stages mal rétribués, qu’un auto-entrepreneur est un travailleur indépendant ou encore qu’un enseignant ne travaille que quand il fait cours, il faut revenir aux fondamentaux. Et le dire clairement : en s’occupant de ses enfants ou de ses petits-enfants, en aidant un proche, en s’investissant dans une association, en faisant son jardin, en réalisant son rêve et même en se reposant, un.e salarié.e privé.e d’emploi, titulaire de l’AAH, en congé maladie, en congé maternité, paternité ou parental, accidenté.e du travail ou en retraite produit. Cette productivité intrinsèque est reconnue par le revenu qui lui est attribué via les cotisations sociales ou la solidarité nationale. Ce qui fait enrager Macron et les siens, c’est précisément qu’un salarié dans une de ces diverses situations produit librement sans générer de profit et sans être soumis au chantage à l’emploi. Hors de la sphère capitaliste, donc. Hors de l’horizon du « plein-emploi » néolibéral.
Réduite à son essence, la politique de Macron n’est en somme qu’une protestation enflammée contre la socialisation du travail, la généralisation de la Sécu, l’affirmation de la Fonction publique et, in fine, la reconnaissance du statut de producteur à toutes et tous. […]

À la différence de Hollande qui voulait chaque mois annoncer l’inversion de la courbe du chômage, Macron ne s’est pas gêné : il a changé la méthode de calcul, remplaçant les chiffrages de la DARES, de Pôle emploi par ceux du BIT, pour lequel le seul fait de travailler une heure dans le mois suffit à n’être plus chômeur. En se limitant à la catégorie A et en excluant les catégories B, C, D et E, évidemment le chômage affiché a « baissé » autour de 7 % – au lieu de 11 %, toutes catégories confondues. D’autant que la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés, les radiations se font en masse et les lois Macron-Borne ont rendu plus difficile l’accès à l’indemnisation et ont réduit la durée de celle-ci. En fait, Macron expulse les salariés du salariat, puis les chômeurs du chômage. Dans la vie réelle, il y a toujours six millions de chômeurs officiels (hors Mayotte). Et la part de la population active non occupée est autour de 17 7°. En mentant sur le taux réel du chômage, en imposant 7 % au lieu de 11, Macron assouvit un besoin politique d’affichage, mais il fait aussi fonctionner la clause de spoliation qui prévoit que, si le chômage est inférieur au seuil de 9 %, la durée d’indemnisation est abaissée de 25 %. Ensuite, il faut étudier la part des « nouveaux emplois » que Macron-Le Maire affirment avoir récemment créés pour constater que ce sont des « sorties de chômage », et non plus des emplois salariés. Une note de l’INSEE pointe qu’un chômeur sur cinq au sens du BIT n’est pas inscrit à Pôle emploi, en donnant l’exemple de jeunes sans indemnisation. Notre ami François Ruffin s’appuie sur Eurostat pour démontrer que la France est championne, avec la Hongrie et l’Estonie, de l’emploi non-salarié, type auto-entrepreneur, avec 2,4 millions de créations.

Extraits d’un dossier « Emploi » dans le mensuel de la Gauche Démocratique et sociale de mai 2023.

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