L’aliénation du producteur consommateur

Nous passons une partie de notre journée à produire ce que notre patron a choisi pour nous, et l’autre partie à le consommer, sans avoir eu nulle part notre mot à dire sur les choix de société qui conditionnent notre existence. (Ce n’est pas une consultation européenne ou nationale pour renouveler un parlement de temps en temps qui y change quoi que ce soit.) Le problème prend une autre tournure si nous commençons à nous complaire dans notre rôle assigné de consommateur, à désirer ce que le marché nous propose, en oubliant les autres possibilités. Les pratiques non marchandes qui préexistaient, les pratiques alternatives qui existent encore, les possibilités qui existeront un jour peut-être quand l`humanité se sera émancipée du capitalisme… C’est cela l`aliénation, le fait d’adhérer à la misère qui nous est faite, de ne plus chercher à renverser le présent avec des aspirations révolutionnaires basées sur une haute estime de l’être humain.
Or, une bonne partie de la gauche, donc, s’est construite politiquement en partie dans les logiques d’aliénation. Elle reste dans le paradigme de « répartition des richesses » et en occulte les nuisances. Mais si nous produisons du poison (ou du Nutella, ou des smartphones), faut-il vraiment se répartir égalitairement les fruits de la production ?
C’est dans ce cadre que nous évoquons un ascétisme – dépouillé de ses connotations religieuses. Dans un monde avec de fausses responsabilités, où l’individu et son lien de va-et-vient avec la communauté humaine est rompu, où nous sommes seuls ensemble, une forme de recentrage sur ce qui a du sens et sur nos vrais besoins est nécessaire. L’ascétisme peut permettre d`aller à l’essentiel, et s’inscrit dans un projet d’autonomie individuelle et collective. Et cela peut être joyeux ! Car l’ascétisme bien compris, la sobriété, est la condition nécessaire mais non suffisante d’une véritable égalité. C’est un moyen, et non une fin. En ce sens, nous nous revendiquons d’une gauche anti-libérale, qui cherche à allier égalité et liberté sous le mot d’ordre d’autonomie. Pas très cool tout ça, pour la gauche libérale et post-moderne, qui va parfois chercher à caricaturer nos positions comme étant « moralistes » ou « réactionnaires ».

Extrait d’un entretien du collectif Ruptures dans le journal La Décroissance d’avril 2024.

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