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L’âge du consumérisme
[…]. Bien évidemment, les individus peuvent toujours, dans leur grande majorité, être considérés comme des producteurs, car le travail est loin d’avoir disparu, mais ce n’est désormais qu’à titre secondaire que la société les engage en tant que tels. Elle les interpelle avant tout en leur qualité de consommateurs. C’est l’activité de consommation et non de production qui fournit l’interface essentielle entre les individus et la société. C’est la capacité à consommer qui définit le statut social.
Durant cette transition entre la société des producteurs et celle des consommateurs, a émergé la figure du « consommateur traditionnel », comme l’appelle Bauman. C’est un individu qui croit, dans une certaine mesure, ce que la publicité lui raconte, et adhère au grand récit de la société de consommation établi dans les années 1960. Il se comporte comme si les biens proposés sur le marché étaient là pour satisfaire ses besoins.
Le consommateur traditionnel va à contre-courant car il « respecte la définition orthodoxe des besoins de consommation – une personne qui vit « le besoin » comme un état de tension désagréable, et identifie le bonheur avec le fait de supprimer cette tension, de restaurer l’équilibre, de retourner à l’état d’équilibre et de tranquillité atteint quand tout le nécessaire à la satisfaction du besoin a été obtenu ». Or, un consommateur satisfait est la pire des menaces.
En effet, le but premier de la consommation, dans la société des consommateurs, n’est en aucun cas la satisfaction pleine et entière des besoins, des désirs et des manques. Le consumérisme n’est pas un moyen d’arriver à ses fins, de posséder ce dont on a besoin. La consommation est devenue une activité qui constitue une fin en soi, n’ayant comme objectif que sa perpétuation, et surtout, son intensification et sa généralisation à l`ensemble des rapports sociaux.
Se distinguant nettement des formes précédentes de vie, notamment celles de la société des producteurs où la satisfaction résidait avant tout dans la promesse de la sécurité à long terme, dans la prudence, l’épargne et la recherche d’un état stable, le consumérisme associe le bonheur moins à la satisfaction de besoins qu’à une augmentation constante du volume et de l’intensité des désirs. Il faut jouir immédiatement de la consommation.
Contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas l`appropriation, la possession et l’accumulation d’objets que les consommateurs recherchent. Le consumérisme ne consiste donc pas en l’accumulation de biens mais plutôt dans la multiplication des sensations, d’ailleurs « pas nécessairement agréables, ou du moins, pas nécessairement agréables en elles-mêmes ; C’est le fait d’avoir des sensations, voire même d’en espérer de nouvelles, que l’on a tendance à vivre comme un plaisir ».
Se développe ainsi un véritable marketing de la personne (personal branding), consacré par le règne des réseaux sociaux – Facebook, Twitter et autres – où chacun est poussé à mettre en place de véritables stratégies, à manager son identité. Comme l’explique Bauman, qui a consacré un livre à ce thème (Identité), […]
Extrait d’un article de Cédric Biagini, au sujet de l’œuvre de Zygmunt Bauman, dans le mensuel La Décroissance d’avril 2017.