La sobriété selon le marché

Le plan de sobriété presenté par le gouvernement en octobre est censé incarner la « radicalité » du gouvernement pour mener à bien la « révolution écologique », selon les mots de la Première ministre Élisabeth Borne. L’objectif de ce plan est d’ailleurs relativement ambitieux : faire baisser de 10 % en deux ans la consommation globale d’énergie. […]

On citera le « bonus covoiturage » d’environ 100 euros pour les particuliers. On relève également l’augmentation de 15 % de l’indemnité forfaitaire de télétravail dans la fonction publique, pour que les fonctionnaires se déplacent moins… Et puis c’est tout ! Le reste du plan n’est qu’une série de mesures anti-gaspi auxquelles les entreprises se sont engagées.
Fermer la porte quand le commerce est chauffé, couper l’eau chaude quand elle est inutile, etc. Le gouvernement affiche ainsi la bonne volonté des entreprises, jusqu’à préciser des détails qui frisent le ridicule : « former les conducteurs de remontées mécaniques à l’écoconduite », « vérifier la pression des pneus » des véhicules de fonction… et « pour les matchs en soirée, l’éclairage qui est aujourd’hui allumé a 100 % 3 heures avant le match, sera désormais allumé à 100 % au plus tôt 2 heures avant le match pour le football, 1 heure pour le rugby ». Tous ces engagements pourraient conduire à une baisse de la consommation de l’ordre de 50 TW/h (sur une consommation totale d”environ 1 600 T\Wh), soit 3 % d’énergie économisée. Encore faut-il qu’ils soient tenus !
Il s’agit en effet de promesses dans l’immense majorité des cas.
Autrement dit, les entreprises font bien ce qu’elles veulent. Aveu de faiblesse de l’État ? Pas du tout, répond le gouvernement, qui refuse toute idée de réglementation, pour les entreprises comme pour les particuliers. La limitation à 110 km/h sur autoroute par exemple : « C’est important d’informer sur les économies qu’on peut faire en roulant moins vite, (…) mais on ne peut pas fonctionner à coups d’interdictions », a estimé la cheffe du gouvernement sur BFM, tout en rappelant qu’une telle baisse permettait de « réduire de 20 % sa consommation ». Mais au final, s’il n’y a pas d’interdiction, qui fera l’effort de réduire sa consommation ?
Uniquement les écolos ? Non : beaucoup de gens sont déjà contraints de rouler moins vite, de ne pas chauffer, etc. D’autres, par contre, ont les moyens de se déplacer en jet, d’acheter de très grosses voitures polluantes, et de chauffer d’immenses demeures. Le marché est d’une grande violence sociale, car il contraint d’autant plus ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens.
Il faut justement des mesures d’interdiction et de réglementation pour équilibrer cet effort : taxer fortement le kérosène des jets privés, prévoir un malus-poids digne de ce nom pour les véhicules, réfléchir à une tarification énergétique pat tranches proportionnelles, tenir compte des surfaces habitées pour les aides à l’isolation.
Ce n’est pas seulement une question de justice sociale : rappelons qu’en termes d’émissions de gaz à effet de serre, très souvent liées à la dépense énergétique, les Français parmi les 10 % les plus riches émettent 24,7 tonnes par personne et par an, quand la moyenne nationale s’établit à 9 tonnes. Qu’est-ce qu’on laisse entendre, quand on dit que « chaque geste compte » ? Que chaque geste se vaut, qu’on se rende à Saint-Tropez pour le week-end en jet, ou qu’on chauffe la chambre de ses enfants. Le marché ne fait pas la différence, le gouvernement non plus.

Édito de Fabien Ginisty de l’âge de faire de novembre 2022.

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