La sobriété gagnante

La mondialisation a produit, pour la France, sous couvert de « compétitivité », une mise sous perfusion de notre économie. La perte de notre industrie a engendré un déficit commercial colossal : 60 milliards en année normale, le double aujourd’hui avec la crise de l’énergie.
Surtout, évidemment, cette délocalisation de nos usines a produit un chômage de masse : les classes populaires se sont retrouvées hors production, hors compétition, incapables de lutter avec leurs homologues de l’Est, Europe ou Asie. Leurs revenus du travail ont donc été remplacés, en partie, par des prestations sociales : en 1975, un quart des allocations allaient aux 10 % les plus pauvres. C’est désormais la moitié. Et pour maintenir leur travail, quand même, on a allégé puis supprimé les cotisations sur les bas salaires.
Avant que, avec le revenu d’activité, l’État ne les paie carrément…
Les entreprises ? Pour les rendre plus « compétitives », pour qu’elles exportent, nous avons baissé leurs impôts (sur les sociétés, de production, ISF, Flat tax, Exit tax pour leurs détenteurs, etc.). Nous les avons subventionnées, avec le CICE, le Crédit Impôt
Recherche : une étude vient de chiffrer ces aides à 160 milliards d’euros chaque année.

Et idem pour l’agriculture, aujourd’hui sur-subventionnée. Les emplois domestiques, subventionnés, via des crédits d’impôts. Le logement, subventionné, côté propriétaire, avec les niches fiscales. Côté locataires, subventionnés, avec les APL. Et maintenant les carburants, le gaz, l’énergie, subventionnés. C’est désormais toute la société qui est subventionnée.
Et l’on aboutit à ce paradoxe : d’un côté, des impôts, notamment locaux, ou sur la consommation, sur les particuliers, en hausse. Mais qui servent, pour l’essentiel, à des transferts, à des subventions. Et du coup, à l’autre bout, le budget des hôpitaux, des écoles, des tribunaux, des transports, de l’éducation, etc., qui stagne voire diminue.
[…]
Comment sortir de cette spirale infernale ? D’accord avec l’auteur, et depuis longtemps, nous répondons « protectionnisme » : il faut rebâtir une base industrielle, qui à la fois redonne des emplois productifs et nous épargne une dépendance à l’égard de l’étranger. C’est devenu une évidence avec la crise Covid, avec les masques, les surblouses, les médicaments, que nous étions impuissants à produire, que nous attendions passivement de l’étranger.
Deux années plus tard, nous en sommes toujours au même point : pénurie de paracétamol et d’antibiotiques, à cause de « principes actifs » fabriqués à 80 % en Inde ou en Chine.
Nous devons nous réarmer, sortir des secteurs entiers du libre-échange.

Mais Benjamin Brice complète avec un autre volet : plutôt que de chercher à exporter, à être « compétitif » à tout-va, et en permanence échouer, les gouvernants devraient également se soucier de moins importer. Comment ? En agissant sur la consommation. Au fond, depuis quelques décennies, notre perte industrielle est devenue telle que, dès que nous consommons, nous importons. C’est 18 milliards de déficit commercial, ainsi, de mémoire, sur l’informatique, l’électronique.
Pour juguler cette hémorragie, nous devons moins consommer.
Or, note-t-il, la « société de consommation » a rendu cette consommation sacrée. Comme si c’était le marché qui en décidait, hors d’atteinte de la démocratie. Côté ordinateurs, téléphones portables, par exemple, nous devons empêcher l’obsolescence, favoriser les
réparations, ne pas céder aux sirènes du nouvel iPhone. Cette économie vaut, bien sûr, d’autant plus sur l’énergie : voilà qui réclame, pour les déplacements, des voitures moins lourdes, avec moins de gadgets connectés à tout-va, énergivores. Voilà qui exige, pour les logements, qu’ils soient isolés, qu’on ne chauffe pas le ciel.
L’impératif écologique rejoint, ici, le souci d’économie. […]

Extraits d’un article de François Ruffin dans le journal Fakir de décembre 2022, qui s’exprime au sujet du livre La sobriété gagnante.

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