La sobriété, c’est nouveau ?

Cette incantation à la sobriété est-elle un « tournant » ? Ce serait croire que nos aïeux n’auraient jamais connu de difficultés d’approvisionnement énergétique. En vérité, contrairement à ce qu’affirme un livre d’universitaires qui fait figure de référence pour « gouverner la fin de l’abondance énergétique », la notion de sobriété n’émerge pas « péniblement dans le discours public depuis le milieu des années 20005 », mais est vieille d’au moins un demi-siècle.
Il suffit de lire les rapports des planificateurs de l’époque pour le constater : la « sobriété » y est omniprésente. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont servi de leçon.
Désormais, promis-juré, la croissance devra être « sobre en énergie », « mieux adaptée aux nouvelles conditions de notre approvisionnement énergétique », comme le stipule le commissariat général au Plan.

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« La société française sera plus sobre, plus économe », garantit le gouvernement. Dans un contexte international où « le marché pétrolier demeurera tendu », se défaire de la dépendance au pétrole est vu comme « un impératif de la survie de nos économies ». « Les pays industrialisés qui ont, pendant près de trente ans, fondé leur croissance sur une énergie et des matières premières abondantes et bon marché, ne connaîtront plus jamais pareille situation. […] Désormais l’énergie doit être considérée comme un bien rare, et comme tout bien rare, elle sera onéreuse. »

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Les politiques de « maîtrise de l’énergie » se mettent en place des 1974 […] Le mode de vie, la course au confort et à la consommation ne sont pas remis en cause, ni les finalités de notre société : la croissance doit se poursuivre, tout comme la prolifération des voitures, l’équipement en électroménager, l’étalement des villes… La sobriété énergétique est promue comme un moyen de gagner en compétitivité et de développer des techniques innovantes, tout en rejetant la perspective de la décroissance. Il en va de même aujourd’hui, quand l’État fixe pour objectif « 10 % d’économies d’énergie en deux ans », et quand la sobriété est inscrite depuis des années dans notre loi, vue comme un moyen essentiel d’atteindre le Graal, la « croissance Verte ».
Cette politique est avant tout conjoncturelle, liée à la cherté de l’énergie : avec le contre-choc pétrolier et la baisse du prix du baril, les appels à la « sobriété » se font moins pressants, comme le constatent Jean Syrota lui-même (premier président de l’Agence pour les économies d’énergie, créée en 1974) ou encore Bernard Laponche (ancien directeur général de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie). « Les effets du contre-choc pétrolier du milieu des armées 1980 durent encore. Il a eu pour conséquence la diminution des politiques de maîtrise de l’énergie à peu prés partout, dans les pays européens en particulier », déplore ce dernier.
Même si l’objectif d’une « croissance sobre » reste régulièrement réaffirmé, comme dans ce rapport du Plan de 1998 plaidant « pour une relance de la politique de maîtrise de l’énergie » : « la recherche d’une plus grande sobriété énergétique – en France, en Europe et dans le monde – doit être inscrite comme une priorité et faire l’objet d’efforts concertés ». […]

Extraits d’un article de Pierre Thiesset dans le journal La Décroissance de septembre 2022.

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