La résilience

Les politiques publiques prétendant répondre aux désastres du techno-capitalisme – de la loi « Climat et résilience » aux politiques anti-Covid19 – s’inscrivent dans cette nouvelle religion d’État qu’est la résilience, métaphysique étatique du malheur qui justifie le désastre comme le pendant inéluctable du progrès, au point d’en faire sa source.

On peut comprendre un tel engouement résiliomaniaque étant donné que nous sommes de plus en plus confrontés à des catastrophes impossibles à maîtriser. La résilience apparaît alors comme une formule magique prétendant clore cette impossibilité pour en faire une source de rebond vers un soi-disant « monde d’après ». En fait, plus on connaît les causes des désastres, plus les réponses fournies sont concentrées sur leurs conséquences, et sur la manière d’en tirer parti, rendant ainsi les causes de plus en plus désastreuses.

C’est un principe de base de la résilience, cet art de s’adapter au pire, notamment technologiquement, sans jamais élucider les raisons de ce pire. Car la résilience interdit de s’interroger sur le fait que les catastrophes industrielles sont les produits de notre mode de production économique capitaliste, qu’elles résultent d’une société technologique se voulant sans limite. Ainsi s’agit-il de combattre le cancer, le dérèglement climatique, le Covid-19, sans combattre le monde qui les fait émerger.

À Fukushima, mais c’est aussi vrai ailleurs, la résilience est promue au rang de technique thérapeutique – de fait, une technologie du consentement – pour faire face à un désastre individualisé où les gens sont amenés à faire fi de leur impuissance face aux dégâts pour, au contraire, nourrir l’illusion d’être puissants et agissants.

Chacun est exhorté à « rebondir », à « vivre avec » et à cogérer la catastrophe, en participant à la « décontamination » ou en surveillant la radioactivité ambiante au prétexte que ce serait bon pour sa santé psychique. L’objectif des apôtres de la résilience (autorités publiques, associations locales, experts internationaux) est d’amener chacun à cesser de s’inquiéter « inutilement » d’avoir fatalement à vivre avec la contamination, qui est en réalité une situation de survie.

Les gens doivent apprendre à se contenter d’un bonheur palliatif, où règne le « trop peu », considéré comme éternel et indiscutable : un « trop peu » de santé, de liberté, de peur, de refus, de vie.
L’idée de base des partisans de l’accommodation, selon qui être résilient signifie non seulement être capable de vivre malgré l’adversité et la souffrance, mais surtout de vivre grâce à elles et de grandir et s’adapter par la perturbation et la rupture, est en réalité inapplicable dans le monde de la radioactivité, comme dans nombre de situations d’exposition toxique ou de contamination. Mais qu’à cela ne tienne : le culte de l’adaptation soutient sans relâche que la catastrophe n’est pas ce qui survient, mais l’impréparation individuelle et collective à ce qui survient, et déploie sans fléchir son algorithme de la résurrection permanente, ne manquant jamais de culpabiliser ceux, et à Fukushima ce sont particulièrement « celles », qui le contestent.

Début d’un article de Thierry Ribault dans L’Écologiste de février – avril 2022.

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