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La haine des fonctionnaires
Tous des privilégiés ! On connaît le refrain les fonctionnaires sont paresseux, fainéants, profiteurs et inutiles. Taper sur la fonction publique semble soulager nombre de gens dans ce pays. Une pratique du punching-ball que Julie Gervais, Claire Lemercier et Willy Pelletier décortiquent dans leur dernier ouvrage La Haine des fonctionnaires (Amsterdam, 2024). […]
Le 8 novembre dernier, Nicolas Sarkozy expliquait lors d’une conférence que de nombreux enseignant-es choisissaient ce métier pour les mauvaises raisons : « 24 heures semaines, 6 mois dans l’année ». […]
Mais ces 30 dernières années, cette haine des fonctionnaires a changé de forme, comme l’a montré l’historien Émilien Ruiz : les fonctionnaires ne sont pas juste paresseux, « ils coûtent trop cher ». Ce bashing a notamment été porté par la presse économique, des chefs d’entreprises ou des think tanks comme l’Institut Montaigne. Dans leur viseur : le poids budgétaire des services publics et des fonctionnaires, au détriment de la sphère privée, jugée plus efficace et moins coûteuse. Depuis la pandémie, le discours a un peu évolué. On s’est rendu compte que le service public, ça tient la société. On est alors passé du bashíng au washing. On reconnaît que les services publics sont essentiels mais sans se donner les moyens de les défendre, tout en continuant de taper, par derrière, sur ses agents… […]
Il existe trois types de haine envers les fonctionnaires. La première vient de celles et ceux qui démolissent le secteur public et qu’on appelait la « noblesse managériale » dans notre précédent livre. Ces très hauts fonctionnaires s’appuient sur la haine des fonctionnaires pour justifier réformes et coupes budgétaires. La deuxième émane des milieux populaires qui sont dépendants de services publics qui dysfonctionnent. Abandonnés par l’État, ils cultivent du ressentiment à l’égard de ses agents. Les dénigrer c’est aussi un moyen de rehausser une image dégradée de soi : on se présente comme un travailleur qui ne compte pas ses heures, à l’inverse du fonctionnaire paresseux. Enfin, la dernière haine est celle des fonctionnaires envers eux-mêmes, soumis à des injonctions contradictoires, meurtrissant les usagers qu’ils ont vocation à aider. Les profs sommés de faire du tri scolaire, les aides-soignantes qui brutalisent malgré elles leurs patients, les assistantes sociales contraintes au minutage de leurs tâches. […]
Les cabinets de conseil accompagne cette destruction…
Tout à fait, même si leur recours est ancien [il remonte aux années 1980], on a une explosion des prestations de conseil sous Macron. En 2021, elles auraient coûté près d’un milliard d’euro à l’État. Au-delà du coût, ces prestations doublonnent et court-circuitent des travaux de recherche publics qui auraient d’ai1leurs d’autres visions à proposer du service public… Cela participe alors à un rétrécissement du domaine de compétences de l’État. On aurait d’ailleurs tort de penser que les coupes dans les services publics permettent de faire des économies. L’impératif de restriction budgétaire coûte en réalité très cher à l’État car il privilégie l’externalisation, ou le recours à des contractuels pour assurer les missions de service public. Et quand on coupe c’est souvent pour réinvestir ailleurs. Si ce n’est pas dans la police ou l’armée, c’est dans la « e-santé » ou la recherche technologique pour soi-disant lutter contre le changement climatique…
Et comme l’explique l’anthropo1ogue David Graeber, l’accompagnement du néolibéralisme produit une explosion de la bureaucratie !
Extraits d’un article du mensuel CQFD de janvier 2025.