La coolitude des start-up

Le Chiffon : Dans quels éléments concrets s’incarne la « coolitude » des start-up dont vous parlez ?

Mathilde Ramadier : La « coolitude » que je dénonçais dans mon ouvrage paru en 2017, Bienvenue dans le nouveau monde, et qui a toujours cours, malheureusement, s’exprime à différents niveaux le pense que cela commence avec le langage : le vocabulaire employé, les anglicismes du globish, le tutoiement.
Ensuite, ce mode d’être s’infiltre sur les lieux du travail et dans les relations humaines avec un processus de ludification appuyé : tout doit être rendu ludique ou fun, pour faire oublier qu’il s’agit de travail. On ne parle plus de « projets » mais de « challenges » ou « d’aventures »…
Bien sûr il y a l’exemple, désormais connu, de la table de ping-pong dans l’open space, mais cela peut-être plus subtil, quand on propose des activités de team bulding régressives, quand on utilise des smileys et la culture du LOL comme référence commune. Qu’y a-t-il de gênant à tout cela, me diriez-vous ? Le problème, c’est que c’est utilisé comme un voile de fumée pour faire passer la pilule – des contrats précaires, des bullshit jobs, de la perte de sens, du greenwashing évident dans certains cas… voire même d’une certaine forme d’esclavagisation, notamment dans l’économie des plateformes.

 

Selon vous, sur quels mythes narratifs repose le fonctionnement d’une start-up ?

 

Sur le mythe du/de la self-made wo-man, qui s’est construit-e seul-e, grâce à son talent mais aussi et surtout ses efforts, sa foi (en son projet, dans le système), et pas du tout grâce à sa formation, à l’État, aux autres ou à son milieu social (puisqu’on encourage les « drop outs » (électron libre) comme Steve Jobs, d’ailleurs). Il faut tout donner pour monter sa startup, mais aussi tout donner pour rejoindre la startup d’un-e autre. Gare à celui ou celle qui compte ses heures !
C’est un mythe très individuel et méritocratique, centré sur la performance, sur le « je », très égocentrique, avec une visée souvent démesurée (on livre des repas industriels mais en fait « on change le monde »). […]

Début d’un entretien de Mathilde Ramadier dans Le chiffon de novembre 2022.

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