La bataille de la sécu

La Révolution de 1789 va mettre à bas les anciennes solidarités de la société féodale et construire une nouvelle façon d’organiser les secours, de façon universelle et dont les bénéficiaires sont, au contraire de la charité, légalement définies.
Mais ces innovations sont encore limitées et restent aux mains de la classe bourgeoise dominante.
Dès les premières décennies du XIXème siècle la question de la santé de la classe ouvrière est construite comme un objet politique. Le libéralisme naissant a besoin d’ouvriers en pas trop mauvaise santé, mais les mesures à prendre ne sauraient entrer en confit avec les intérêts capitalistes. L’hygiénisme naissant cherche dans les conditions d’existence des ouvriers et ouvrières – qui sont réellement mauvaises et néfastes – les raisons de la santé dégradée de la classe laborieuse. Les conditions de travail ne sauraient être retenues comme cause explicative des maladies.
Deux modes de financement vont émerger : un système assurantiel (financé par le capital) et un système auto-organisé (financé par l’entraide). Ainsi, les sociétés de secours mutuel se développent rapidement et à la veille de la Révolution de 1848 on en compte 2 500 couvrant un ensemble de 270 000 membres.
Combattues durant la Restauration, entre 1825 et 1848, plus de 4 000 d’entre elles seront condamnées pour délit de coalition. Ces mutuelles sont à la fois des organisations offrant des secours que ne gèrent pas l’État, mais également des lieux politiques de formation qui diffusent les idées démocratiques.
La bourgeoisie ayant à nouveau fait appel au peuple en 1848, et dans la crainte que n’émergent trop fortement une opinion favorable à la mise en place d’un système généralisé de prévoyance pour la santé, la retraite et le chômage, ces sociétés de secours seront finalement légalisées en juillet 1850 mais en les encadrant fortement. En 1852 le décret légalisant la mutualité pris par Napoléon III est un pas supplémentaire vers l’intégration à l’ordre social de ces mutuelles qui restent « des lieux de socialisation ouvrière potentiellement subversives où se pensent la transformation sociale par l’auto-organisation ».
L’État s’approprie ainsi « la critique sociale pour se prémunir du changement ».

Il en sera de même de la réappropriation de la Sécurité sociale, elle aussi née dans l’auto-organisation ouvrière et réintégrée à la doctrine de l’État social dans une « une volonté consciente et relativement stable de cibler les bénéficiaires des prestations et de laisser le capital se déployer au détriment de la production publique ».
Ainsi l’État social, selon Nicolas Da Silva, n’est pas un horizon souhaitable mais plutôt un empêchement à la pleine réalisation de l’émancipation des classes populaires. S’y soumettre serait se soumettre à des intérêts qui ne sont pas les nôtres.

Extrait d’une recension de l’ouvrage La bataille de la sécu, une histoire du système de santé dans Alternative Libertaire d’avril 2023.

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