Jojo avec un gilet jaune

1,7 %. On en était arrivés à ce chiffre, il y a quatre ans, à l’écoute de France Inter. La , direction venait de rayer « Là-bas si j ‘y suis » de sa grille, et avec vous, amis fakiriens, nous avions opéré un décompte, chrono en main : 18 minutes. 18 minutes sur 18 heures. 18 minutes sur 1080 minutes. Soit, donc, 1,7 %. Voilà le temps que France Inter consacrait aux ouvriers, employés, travailleurs, appelez-les comme vous voulez. Voilà ceux qui ne parlaient pas. Qui parlait à la place ? Les artistes, les experts, les patrons. Alors que les classes populaires représentent, d’après l’Insee, la majorité de la population, elles étaient marginalisées à la radio.

Elles le sont toujours, et pas qu’à France Inter. Le dernier baromètre – diversité du CSA en témoigne : « La représentation à l’antenne est très éloignée de la réalité », « le Conseil observe une quasi-absence des personnes en situation de précarité », etc.
À l’inverse, « 88 % des personnes montrées dans les sujets d ‘information  appartiennent aux CSP+. »
La même chose qu’à l’Assemblée : les ouvriers – employés ne représentent que 2,7 % des députés. Quand les diplômés, médecins, avocats, DRH, consultants. enseignants, journalistes, etc., trustent presque tous les sièges. Et ce Parlement se prétend « représentation nationale » !

C’est l’irreprésentation organisée… Étrange démocratie où la majorité est invisible. Où les classes populaires sont éliminées de la photo.
C’est notre obsession, depuis vingt ans, à Fakir : qu’on les voie. Qu’on les entende. Que la vie des grands n’éclipse pas la vie des gens. Alors là, en ce moment je me régale : les Gilets jaunes crèvent l’écran. Aide-soignantes, intérimaires, camionneurs, vendeurs, chômeurs, occupent radios et télés. Même si c’est pour de mauvaises raisons, d’audimat, même si c’est entourés des éditorialistes, qui leur servent la leçon, même si ça ne dure qu’un moment, je prends.

Notre président, ça lui donne de l’urticaire, à lui : « Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député ! », déplore-t-il en petit comité. Plutôt que leur quasi absence, y compris à l’Assemblée, ce qui le gêne, lui, c’est qu’on les aperçoive enfin, que le peuple pointe le bout de son nez dans des médias d’habitude réservés à sa caste. Que des affreux Jojos viennent déranger son club très select, son aristocratie de diplômes et d’argent.

Extrait d’un article de François Ruffin dans le journal Fakir de janvier 2019.

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