Incarcération de masse aux États-Unis

D’abord, quelques chiffres flippants. Dans le monde, un quart des personnes incarcérées le sont aux États-Unis, pays qui ne représente pourtant que 5 % de la population planétaire. Et cet ogre pénitentiaire a une nette préférence pour les personnes non blanches : alors qu’à peine 7 % des Américains sont des hommes noirs, ces derniers représentent 40 % des détenus. Mais pourquoi ?

Réalisé en 2016 par Ava Duvernay, le documentaire 13th apporte un éclairage historique édifiant sur la criminalisation structurelle des minorités ethniques outre-Atlantique – dont le meurtre de George Floyd par un agent de police à Minneapolis n’est qu’une énième illustration.

13th ? Le treizième. Le treizième amendement de la Constitution des États-Unis qui, à la fin de la Sécession, interdit formellement l’esclavage, « sauf en tant que punition d’un crime ». Une faille vite exploitée pour relancer l’économie sudiste – mise à mal par l’émancipation des esclaves – via le travail forcé des condamnés.
« On a arrêté les Afro-Américains en masse, rappelle dans le documentaire Michelle Alexander, autrice de La Couleur de la justice : incarcération de masse et nouvelle ségrégation raciale aux États-Unis (traduit en français aux éditions Syllepse en 2017). Ce fut le premier boom carcéral du pays. »

Comment justifier cette discrimination ? « Rapidement, il y a eu un processus de mythification de la délinquance noire », explique l’universitaire Jelani Cobb. Se propage alors la figure du Noir dangereux, du Noir violeur, du Noir qu’on peut lyncher en toute impunité. Et les pendaisons sommaires se multiplient. « Quand il est devenu inacceptable de perpétrer de tels actes, résume l’avocat
Bryan Stevenson, ça a pris une forme plus légale : la ségrégation. »

Dans les années 1960, le mouvement des droits civiques parvient à imposer l’égalité formelle devant la loi dans les anciens États sudistes. Mais la ségrégation se réinvente vite : le président Richard Nixon dégaine le concept de « guerre contre la drogue ». Des années plus tard, son conseiller John Ehrlichman avouera l’entourloupe : « [Nixon avait] deux ennemis : la gauche pacifiste et les Noirs. […] On ne pouvait pas punir le pacifisme ou le fait d’être Noir. Mais en associant les hippies à la marijuana et les Noirs à l’héroïne et en les criminalisant lourdement, on pouvait déstabiliser ces communautés. » De 357 292 détenus en 1970, la population carcérale passe à 513 900 en 1980.

Sous la présidence de Ronald Reagan, la « guerre contre la drogue » s’intensifie. Le rappeur Killer Mike en fait un efficace résumé dans sa chanson « Reagan » : « Ils ont déclare la guerre à la drogue comme au terrorisme / Ce qu’ils ont fait en réalité c’est laisser la police terroriser n’importe qui / Mais surtout des jeunes Noirs qu’ils traitaient de Nègres / Ils nous plaquaient à terre le doigt sur la gâchette ».
Alors que la cocaïne semble surtout une affaire de Blancs plutôt aisés, son dérivé, le crack (moins cher) est davantage consomme dans les quartiers noirs. Et la réponse pénale diffère : « Trente grammes de crack, ça valait autant de prison que trois kilos de cocaïne », remarque l’universitaire James Kilgore. En 1990, les geôles américaines enferment plus d’un million de personnes.

[…]

En 2001, les États-Unis comptent plus de deux millions de prisonniers. Dont 878 400 personnes noires.

Extraits d’un article de Clair Rivière dans le mensuel CQFD de juillet 2020.

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