Grèves et rapport de force

Dans le contexte post électoral, la première grève « de rentrée des classes » dans l’Éducation nationale était scrutée comme un indicateur de la température sociale. Comme de nombreuses avant elle, ce fut un
pétard mouillé. Cet échec doit interroger l’utilisation de la grève.

Le fiasco était prévisible. « S’opposer aux évaluations nationales et leur généralisation », des revendications légitimes portées en intersyndicales FSU/CGT/SUD. Mais en retard des pratiques déjà en place dans les établissements. « En grève le 10 septembre », soit moins de dix jours après la rentrée. Trop souvent nos fédérations syndicales lancent des grèves sur des mots d’ordre justes mais sans possibilité de succès.
Depuis plus de 20 ans, les seuls appels syndicaux ne suffisent généralement plus à mobiliser. Fini le temps où les collègues attendaient les « consignes ». Sauf exception, sans un important travail préparatoire (tournées syndicales en particulier), les grèves ont du mal à prendre.
Le déroulé est connu. Lors des instances nationales syndicales, le point sur l’actualité revendicative est un inventaire des dates de mobilisation sans mise en cohérence stratégique. En sortent des appels ultra volontaristes. Ensuite, en intersyndicale, il ne faut pas être « à la traine ». Les communiqués et tracts sortent. Par « loyauté » les équipes syndicales relaient timidement ces appels, sans engager un réel travail de mobilisation. Les animateurs et animatrices des syndicats se mettent en grève par cohérence mais sans espoir ou à l’inverse, risquent de se décrédibiliser en allant bosser.

Le résultat est aussi connu : des rassemblements faméliques constitués de déchargé-es syndicaux, de militants et militantes chevronnées et des personnes les plus engagées sur la thématique de l’appel. Ces dernières, pouvant se sentir découragées par le faible niveau de mobilisation, désertent alors les espaces collectifs de résistance.

On est ici loin des critiques simplistes des « bureaucraties syndicales » qui brideraient une base « combative ». Historiquement cela a pu être vrai. Mais actuellement, les appels syndicaux à la grève sont souvent trop systématiques et quelques tons au-dessus du niveau de combativité de la plupart des bases. Tactiquement, ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Mais, en général, ces « faux » appels à la grève sont des démonstrations de faiblesse, elles modifient le niveau de rapports de force en notre défaveur et tendent à accroître l’idée que les syndicats sont hors-sol.
Cet emploi de la grève en déprécie de fait sa portée : c’est un outil de confrontation dur avec le patronat et/ou l’État qui ne doit pas être employé à la légère… car c’est le moyen qui a permis à notre classe d’obtenir ses plus importantes avancées mais dont on ne sort pas toujours gagnant-es, ni indemnes.

Trop ou pas assez d’appels à la grève, un même point commun : une certaine déconnexion avec les bases. Aussi en tant qu’anarchistes et syndicalistes nous devons nous employer à réduire ce fossé en développant les collectifs syndicaux de base (sections locales), en promouvant l’autogestion et l’auto-organisation, en faisant vivre le fédéralisme dans nos syndicats et la démocratie syndicale à toutes les échelles… et bien sûr en participant activement à construire les luttes. Vaste boulot mais plus que jamais nécessaire !

Article dans Alternative Libertaire de novembre 2024.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *