Génocide ou crimes de guerre ?

Chaque jour depuis un an, ce sont les bombardements sur des écoles, des bibliothèques, des hôpitaux, ce sont les destructions de citernes d’eau et de réserves alimentaires. Comme l’a rappelé au Caire, début décembre, le Secrétaire général des Nations
Unies, Gaza est devenu le lieu où vivent le plus grand nombre d’enfants amputés au monde. Amputés sans anesthésie, la plupart du temps. « La catastrophe de Gaza n’est rien d’autre qu’un effondrement total de notre humanité commune », a déclaré douloureusement Antonio Guterres.

Sous prétexte de lutte contre le Hamas, qui utilise l’action terroriste à ses fins politiques, le gouvernement israélien se livre encore un an plus tard à ce que le journal israélien Ha’aretz qualifie de nettoyage ethnique. […]
Pour avoir la première interpellé la communauté internationale, dès le début du mois de novembre 2023, sur les risques d’un génocide à Gaza, la Rapporteuse spéciale de l’ONU pour les Territoires palestiniens est devenue la bête noire du gouvernement israélien, ainsi que la voix – et la conscience – de la communauté internationale, en témoigne l’impressionnant soutien qu’elle reçoit de l’opinion publique à travers le monde. La juriste italienne Francesca Albanese, en entamant sa mission début 2022, pensait documenter les violations de droits humains dans les territoires palestiniens. Elle ne s’imaginait pas qu’elle finirait par établir le lourd constat d’un génocide, ni par conséquent la pression qu’elle serait amenée à subir.
Car sur ce terme précis, depuis plusieurs mois, aucun commentateur ni responsable politique n’hésite à y aller de son commentaire. Face à celles et ceux qui affirment qu’il s’agit du droit de l’État hébreu à se défendre, celles et ceux qui penchent pour une
qualification de crimes de guerre (et dont l’argumentaire s’accompagne souvent d’un lacunaire « C’est déjà très grave »), celles et ceux qui se positionnent plutôt sur des crimes contre l’humanité parce qu’Israël « n’a pas exterminé tous les habitants de Gaza »,
Francesca Albanese rappelle posément qu’un génocide, « ce n’est pas une question d’opinion, mais de droit international ».

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde, disait Camus… Le moins que l’on puisse dire. c’est que le dernier rapport de la Rapporteuse spéciale remis à Antonio Guterres ne tombe pas dans ce travers. Accablant, il documente avec une rigueur chirurgicale l’intentionnalité de l’extermination en cours à Gaza : destruction des infrastructures, enfants faisant l’objet d’assassinats ciblés par des snipers, organisation minutieuse de la famine, propos tenus par le gouvernement et l’état-major de Tsahal,
jusqu’aux soldats de base, élimination de journalistes sur le terrain. Patiemment, lentement, mais sûrement, elle impose dans les esprits diplomatiques la nature juridique de ce à quoi nous assistons à Gaza : un génocide, dans le sens énoncé par la Convention
sur les génocides de 1948. Elle mérite d’être rappelée ici :
« Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Francesca Albanese rappelle aussi qu’il peut y avoir crimes de guerre, crimes contre l’humanité ET génocide, une qualification n’excluant pas une autre. Son objectif : la prise de conscience des États membres de l’ONU. Et des poursuites contre l’ensemble des
responsables politiques, à commencer par Netanyahou lui-même, impliqués dans ce génocide. On peut comprendre la prudence d’une cour de justice : mieux vaut être capable de faire reconnaître des crimes contre l’humanité, quitte à les requalifier ensuite d’actes de génocide, plutôt que fragiliser un dossier à son origine.
Moins justifiable est la prudence politique. Car ce qui s’affirme ici juridiquement, d’après la Convention de 1948, doit pouvoir se défendre politiquement. Pourquoi employer ce terme de génocide ?
Car un génocide est un phénomène qui a une finalité : l’extermination des habitants de Gaza, tandis que les crimes de guerre, eux, sont ponctuels, et circonscrits à la durée du conflit. Utiliser le terme de génocide, c’est avoir conscience, et reconnaître que
la violence déchaînée contre Gaza ne s’arrêtera pas avec la libération des otages, et qu’il ne s’agit pas d’une guerre, mais bien du choix d’anéantir les conditions d’existence d’une population civile, et donc cette population civile elle-même. D’ailleurs, le rapport d’Amnesty international, long de 380 pages, ainsi que ceux de Human Right Watch et de Médecins sans Frontières, concluent eux aussi au génocide.

Extrait d’un article dans le mensuel de la Gauche Démocratique et sociale, numéro de janvier 2025.

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