FNSEA et petits agriculteurs

Ces petits paysans besogneux, sacrifiés sur l’autel du productivisme et de la course au gigantisme encouragés par l’Europe et par les banques qui se sont sucrées sur la bête, avaient compris depuis longtemps qu’ils ne seraient pas conviés à la table des gros. Ils se vivaient déjà comme des battus de l’histoire, les derniers lndiens, comme les ouvriers des usines délocalisées, jetés comme des kleenex au nom de la compétitivité et du profit à tout prix. Comme toujours, ces petits ont été mangés par les gros, par la logique d’accumulation capitaliste.

Je comprends à ce titre la colère qui s’exprime depuis quelques jours dans le sud-ouest du pays, mais quand je constate que la FNSEA prend la tête de la fronde, je suis inquiet. Je connais aussi ce « syndicat » agricole présent jusque dans ma campagne natale par le biais de ses antennes départementales et de son organisation de jeunes (les CDJA). Il faut en être, au risque de la mise à l’écart de la communauté villageoise. La direction de la FNSEA porte l’idée, fausse, d’une prétendue unité du monde paysan qui doit, sans clivage entre petits et gros, se rassembler pour défendre un soi-disant intérêt commun à tous les agriculteurs.
C’est un mythe, une fable destinée à masquer que cette fédération n’est en réalité que le bras armé des gros producteurs qui utilisent l’image du bon paysan pour mieux défendre leurs intérêts particuliers au niveau national et européen. La tactique est simple, mais efficace : pousser devant les petits pour mieux défendre en coulisses les intérêts des gros.

Les petits agriculteurs disparaissent en silence, la terre se concentre entre quelques mains et les primes continuent d’être versées en priorité aux plus gros producteurs… et cela avec la bénédiction de la direction de la FNSEA. Les pesticides pourrissent les eaux et les sols, le mal-être s’installe en profondeur, provoquant des suicides quotidiens chez les agriculteurs, les grandes surfaces continuent de faire la loi et les gros céréaliers du Bassin parisien encaissent des revenus annuels à cinq chiffres, voire plus… et cela encore avec la bénédiction de la direction FNSEA !

La direction de ce « syndicat » se plaint ainsi des conséquences dont elle chérit pourtant les causes… Ce qui tue le monde agricole, ce n’est pas l’excès de « normes » environnementales, c’est la logique libérale et productiviste qui use la terre et les hommes. Ce qu’il faut, c’est une autre ambition pour l’agriculture : rendre à nouveau possible la vie à la campagne en défendant partout les écoles publiques et les hôpitaux de proximité, en produisant moins mais mieux, en créant des dizaines de milliers d’emplois bien formés et bien rémunérés, en faisant émerger une Sécurité sociale de l’alimentation assurant un revenu régulier et décent aux producteurs et une nourriture de qualité et saine aux consommateurs.

Extrait d’un article de Julien Guérin dans le mensuel Démocratie et socialisme de février 2024.

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