Énergie antidémocratique et néocoloniale

Même dans les États démocratiques, le développement du nucléaire a généralement été amorcé sans vote parlementaire préalable et sur la base du fait accompli. Dans un certain nombre de cas, parmi les pays « vétérans » du nucléaire (France, Grande-Bretagne, États-Unis et même en Suisse), le programme nucléaire civil s’est enraciné dans la volonté, concrétisée ou pas ultérieurement, de se doter de la bombe.

En 1977, dans son ouvrage Der Atomstaat (l’État atomique), l’écrivain autrichien Robert Jungk analysait que le nucléaire nécessitait un pouvoir politique fort et centralisé, voire policier, afin de pouvoir gérer les risques liés à son utilisation (vol de substances radioactives, attentat, espionnage…). Le déploiement du nucléaire est ainsi allé de pair avec une culture du secret, à des degrés divers selon les pays. En France, les élu-es ne sont pas averti~es du passage de convois de déchets radioactifs dans leurs communes. En Russie et au Kazakhstan, des villes entières abritant des complexes nucléaires sont longtemps restées absentes des cartes. Certaines sont toujours fermées aux non-résidents.

Toujours à des degrés divers, la surveillance et la répression s’étendent aux opposant-es à l’atome. En France, de l’attentat contre le Rainbow Warrior en 1985, dans lequel est mort Fernando Pereira, hotographe de Greenpeace, aux opérations policières massives visant des opposant-es au projet d’enfouissement des déchets à Bure 3, la théorie de Jungk s’est largement confirmée. La surveillance et la répression visent aussi, notamment, les mouvements antinucléaires en Bulgarie, au Bélarus et en Russie. Bien avant l’invasion de l’Ukraine, plusieurs militantes russes ont dû fuir leur pays pour échapper à un pouvoir qui les harcelait comme « agents de l’étranger ».

Le nucléaire nécessite des ressources technologiques et des infrastructures coûteuses, généralement accessibles uniquement aux pays les plus riches (ou au prix de sacrifices importants, comme en Corée du Nord). Certains pays pauvres, comme le Bangladesh, s’engagent néanmoins dans des projets nucléaires, au prix d`une vassalité vis-à-vis de la Russie, qui a développé une véritable diplomatie atomique proposant le financement et la construction de réacteurs clé en mains. Le développement de programmes nucléaires militaires et/ou civils s’est accompagné de nuisances supportées par des populations invisibilisées, qui n’ont jamais bénéficié des « services » rendus par cette technologie. Pendant des décennies, les pays nucléarisés se sont approvisionnés en grande partie en uranium auprès de territoires colonisés, comme le Congo ou le Gabon. Ces relations inégalitaires ont perduré même après la décolonisation. Afin de conserver un accès facilité aux ressources minières, la France a maintenu son influence dans ses anciennes colonies, sans que celles-ci retirent un enrichissement notable de la vente des produits de leur sous-sol. Malgré ses immenses richesses minières, le Niger reste l’un des pays les plus pauvres du monde.

Dans une grande partie des cas, les impacts sanitaires et environnementaux de l’extraction de l’uranium ont donc pesé soit sur des peuples colonisés, soit sur des minorités ethniques et peuples autochtones.

Début d’un article de Charlotte Mijeon dans la revue Sortir du nucléaire de l’été 2023.

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