Des médias à pleurer

Quelle tristesse! Quel drame!
La reine des Britanniques a cassé sa pipe en or à 96 ans dans sa propriété de Balmoral – 20000 hectares, 50 employés à demeure, plus de chambres que tous les palaces parisiens réunis – entourée de sa famille. Quelle terrible fin. On ne la souhaite à personne. La seule bonne nouvelle dans cette horrible tragédie est venue des radios, télés et journaux qui, pendant quarante-huit heures, n’ont parlé en boucle et non-stop que du décès de la Queen.
Plus de guerre en Ukraine, plus de dérèglement climatique, plus d’économies d’énergie à faire, plus d’inflation, plus de problème de pouvoir d’achat, même plus de Macron. La reine devrait mourir plus souvent!
Les médias, dans leur ensemble, ne cessent de nous surprendre. Gorbatchev meurt quelques jours plus tôt, les voilà qui survolent le sujet entre Paul Pogba qui aurait marabouté Kylian Mbappé et une histoire de char à voile pour les déplacements du PSG.
C’est un choix éditorial entre celui qui a changé le monde et celle qui a passé sa vie à changer de demeure.
Des médias que je remercie au passage.
Les journalistes du PAF m’ont enfin ouvert les yeux : « La France est triste. » « C’est la sidération dans tout le pays. » « Les Français pleurent la reine. » « La reine avait conquis nos cœurs… » Heureusement qu’ils sont là pour nous informer. Grâce à eux, j’ai découvert, ébahi, que j’aimais la reine.
Nous avons vécu minute par minute l’agonie, le trépas, la sidération, le recueillement, le voyage du cercueil, les déplacements du remplaçant écolo en avion privé, la famille à nouveau soudée, la fabrication des nouvelles tasses à thé, l’explication du protocole. Chacun y va de son témoignage poignant, et ça dure, la machine à niaiseries est en branle, on ne peut plus l’arrêter. Dans ce magma de platitudes, une phrase a retenu mon attention, elle est revenue à de nombreuses reprises : « Tant qu’on n’a pas vu le cercueil, on ne pouvait pas y croire. » Ça paraît con comme ça, mais cette touchante banalité m’a interpellé : est-ce qu’elle est vraiment dans la boîte ? Neuf jours, c’est long, ont-ils été obligés de l’empailler ? Y a-t-il un mannequin à l’intérieur ? Ou 200 kilos de cocaïne ! Pas bête, c’est la meilleure planque qui soit : elle a traversé tout le pays et personne n’oserait vérifier.
C’est dingue, dans un monde de progrès obligatoire et de modernité à tout prix, une vieille bourgeoise ringarde conservatrice ultra-traditionnaliste est considérée comme une icône. Serions-nous si paumés, en manque de valeurs et de repères ?
De ce point de vue, effectivement, la mort de la reine en dit long sur notre époque.

Article de Christophe Alévêque dans Siné mensuel d’octobre 2022.

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