Crise écologique, guerre et démocratie

Canicules, incendies dévastateurs, érosion des littoraux, inondations, pénuries d’eau… Même dans les scénarios les plus optimistes, les phénomènes et catastrophes liés au dérèglement climatique vont à l’avenir être de plus en plus fréquents et intenses. Tous les pans de la société et tous les secteurs économiques seront concernés ; toutes nos infrastructures et nos conditions de vie en seront potentiellement affectées – si elles ne le sont pas déjà.

Dans ce contexte, la transformation en profondeur de nos modèles paraît indispensable. Et certains, dans le débat public, usent volontiers de la métaphore guerrière pour évoquer leur nécessaire adaptation à la crise environnementale. Mais peut-on réellement parler « d’effort de guerre » ? Ce type de discours a en effet plusieurs écueils.
Sur le plan stratégique d’abord : en temps de guerre, l’union prend forme parce que l’ennemi à abattre est clairement identifié, et que chacun tend vers un unique but. Dans le cas de la crise écologique, on est loin du consensus. Ensuite, sur le plan temporel : nous vivons une crise inédite en raison de son caractère permanent, donc en contradiction avec l’idée d’en sortir à un moment donné. Comme le décrivent les auteurs de l’ouvrage Comment bifurquer. Les Principes de la planification écologique, « c’est davantage une ère ou une condition nouvelle : on ne reviendra pas à un avant. Ce que feront ou non les États jusqu’à 2050 aura une influence déterminante sur la nature et l’ampleur du phénomène. Mais celui-ci a déjà commencé. »
L’effort à déployer se fera donc sur un temps long, qu’il s`agisse d`anticiper – dans le meilleur des cas – ou de répondre aux crises aiguës quand elles surgiront. Enfin, les risques et effets du dérèglement climatique ne pèseront pas de la même manière selon la classe sociale, le groupe « ethno-racial » et le lieu de vie ; et chaque nouvelle crise agira comme révélatrice des inégalités sociales et spatiales. Ainsi, soulignent Cédric Durand et Razmig Keucheyan, « le caractère différencié de l’impact de la crise dans le temps, l’espace et les classes sociales rend peu probables les « unions sacrées », du type de celles que l’on observe lorsqu’un danger imminent menace la survie d’une population entière ».

S’il semble erroné d’utiliser la métaphore guerrière au sujet de l’adaptation, nous pouvons en revanche évoquer l’idée d’un champ de bataille, où s’affronte une pluralité de visions, d’objectifs et d’intérêts. La manifestation des activistes de Bassines Non
Merci et des Soulèvements de la Terre à Sainte-Soline, contre les mégabassines, apparaît à ce titre comme la première grande bataille écologiste de l’adaptation autour des usages de l’eau. À l’avenir, il est très probable que de nouveaux fronts s’ouvriront
pour lutter contre la maladaptation et contre les promoteurs d’un technosolutionnisme imposant de fausses « solutions » hors de tout contrôle démocratique. Car c’est in fine sur le terrain démocratique (du plus local à l’échelle nationale) que se jouera la bataille. Pour affronter la crise écologique, nos institutions et nos modes de gouvernance n’auront donc d’autre choix que de s’adapter de manière radicale.

Édito de Socialter d’avril 2024.

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