Criants silences

« J’ai pu répondre à tes questions en faisant des vocaux, mais Internet n’est pas stable et je n’arrive pas à les télécharger, s’inquiète Sami, du brouhaha indéfini en fond sonore. Les autres moyens de communication ne fonctionnent pas non plus, j’espère que la connexion tiendra… je ne sais même pas si tu vas recevoir mes messages… » On les reçoit sur WhatsApp deux jours plus tard. Nous sommes le 18 novembre, Sami est journaliste dans le nord de la bande de Gaza.

On n’a plus de nouvelles d’Afaf, qui avait accepté de répondre à nos questions et attendait de pouvoir se libérer du temps. Elle habitait à Gaza City, mais a dû évacuer la ville. Et elle ne s’est plus connectée à son compte Insta depuis plus d’une semaine.
Les messages de Fares sont très vite devenus incompréhensibles, pour ensuite se limiter à des « cœurs » postés sous nos messages, avant le silence radio.
Quant à Rahah, elle devait nous répondre après deux jours de coupures d’Internet. On attend toujours ses réponses, elle n’a jamais vu nos derniers messages. Des dizaines d’autres contacts palestiniens aux profils habituellement actifs sont devenus muets sans qu’on puisse savoir pourquoi… mais on imagine.

On imagine et on se sent fichtrement impuissant-es. C’est bien sûr notre lot quotidien, l’impuissance enragée face au bruit des bottes en Ukraine, au Yémen, au Burkina Faso, ou à la montée en puissance de l’extrême droite en Europe et dans le monde, autant dans la rue que dans les urnes. Mais dans le cas du massacre en cours à Gaza c’est encore plus criant tant la population décimée est dépourvue de la possibilité même de témoigner.
Alors que sur les plateaux télé des éditorialistes soupèsent les macabres chiffres des morts, dont une immense part d’enfants, la propagande du régime assassin de Netanyahou essaye d’imposer l’idée d’une guerre motivée, rationnelle, antiterroriste. .Comme si la guerre pouvait être autre chose qu”une atrocité aberrante et le berceau de haines en devenir ; et la rengaine de la propagande couvrir le vacarme des bombes. De notre côté, modestement, on a essayé de donner la parole à quelques voix qui ne sont pas encore éteintes – un immense merci à elles de s’être confiées malgré les difficultés et les risques. Et on tente de garder un petit espoir : que des foules, un jour, enrayent la mort en marche, et effacent le sourire des bourreaux.

Edito du mensuel CQFD de décembre 2023.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *