Consumérisme, totem intouchable

« Réduire. Réutiliser. Recycler. Nous avons déjà commencé à changer nos habitudes. Ensemble, continuons. »
À l’occasion du « Black Friday » (vendredi noir), le ministère de la Transition écologique et l’Ademe ont lancé une grande campagne à coup de spots publicitaires. Éclair de lucidité ? Plutôt un véritable blasphème dans la société de croissance !

« C’est une apologie de la décroissance. Je ne comprends pas comment le gouvernement a pu laisser passer cela », a explosé le vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises. L’Alliance du commerce, l’Union des industries textiles et celle des industries de la mode et de l’habillement, l’ont carrément mis « en demeure » de « retirer immédiatement cette vidéo » (Libération, 23 novembre). Fichtre ! « Le patron du Medef, Patrick Martin, celui de la CPME, François Asselin, des patrons, les fédérations de commerçants s’insurgent auprès de l’exécutif. Appels, SMS, mails pleuvent à Bercy », rapporte Le Parisien (22 nov.). Les chroniqueurs économiques des mass media ont tonné : « Un appel à la décroissance ne peut que nous emmener dans le mur » (ici François Lenglet sur RTL le 24 novembre). L’0pinion (23 nov.) ironise : « Ceux qui en étaient restés à l’idée que l’exécutif défendait une ligne pro- business se sont frotté les yeux – « on est devenus écolos ! » s’esclaffe (grinçant) un Marcheur »,.. Quelle horreur ! Le quotidien libéral poursuit : « ll y a une ligne claire à avoir sur le fait que nous ne sommes pas des décroissants » précise-t-on “dans les couloirs de Bercy ».

De fait, furieux, l’écrivain pornographe et ministre de l’Économie a rué dans les brancards sur la radio d’État (France Info, 23 nov.), jugeant cette pub « ratée » : « Je trouve cette campagne maladroite », « pas très sympa ». « L’affaire est remontée au plus haut niveau, révèle Le Parisien (22 nov.). Selon nos informations, on réfléchit à Matignon à retirer de la diffusion le spot le plus litigieux. » Quel scandale ! Reprenant les propos de M. Le Maire, la Première ministre en personne a alors taclé son ministre. Finalement, le ministre de la Transition a été obligé de s’aplatir : « Je concède une maladresse » (France Inter, 23 nov.). Il s’est justifié le lendemain dans Le Monde. Extraits : « Il ne s’agit pas de décroissance. » Ouf ! Toutefois, « selon le dernier baromètre « Sobriétés et modes de vie » de l’Agence de la transition écologique (Ademe), qui vient de paraître, 83 % des Français estiment que nous consommons trop. […] Nos grands- parents n’étaient pas dans la décroissance, ils avaient un juste rapport aux choses et à leur valeur. Retrouvons cette sagesse et cette mesure! Elle n’est pas incompatible avec notre économie de marché. »

Puis il a lui-même rassuré sur l’inefficacité totale de la campagne : « Dans une journée normale, 20 000 spots télé sont diffusés. Que 0,2 % du temps d’antenne publicitaire soit consacré au fait de se demander si tous les achats sont utiles, vu les enjeux de transition écologique, ça ne me semble pas déraisonnable. » Étonnamment sincère, un journaliste du très libéral quotidien L’Opinion avait appuyé le ministre :  » [Que la CPME] se rassure : elle [cette campagne] est de toute façon écrabouillée par les publicités faites aujourd’hui par les marques en vue du Black Friday. » Même le sac à pub atlantiste Le Point souligne les limites de la campagne (14 nov.) : « L’impact des efforts de l’Ademe est aussi limité par le bannissement de certains mots hors du vocabulaire gouvernemental. Ainsi, la matinée de présentation au ministère de l’Écologie s’est déroulée sans jamais promouvoir la décroissance. Ce concept est considéré par l’Élysée et par Bercy comme un gros mot, même si la sobriété telle qu’elle est prônée mène mécaniquement à une forme de décroissance. Et alors même qu’il s’agit simplement de bon sens dans certains secteurs comme l’automobile individuelle ou la « fast fashion », les vêtements jetables de Shein, H & M et consorts. » Passons sur l’idée d’opposer de la propagande à de la pub, les deux ayant l’objectif d’abrutir pour réduire à des conduites réflexes. Passons sur l’importation de ces événements commerciaux des États-Unis. Car, bien sûr, ce n’est pas seulement le Black Friday qui pousse à la « surconsommation insoutenable » (pléonasme), mais la société de consommation dans son ensemble. Celle-ci a pour essence de faire passer l’achat de marchandises d’un moyen à une fin. D’où la nécessité de la croissance illimitée.

Extrait d’un article de Vincent Cheynet dans le journal La Décroissance de décembre 2023.

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