Condamnez-vous ces violences ?

Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Manuel Valls, alors Premier ministre, après les attentats de novembre 2015. Huit ans ont passé. Une phrase devenue doctrine. Ne pas expliquer. Ne pas
politiser. Condamner ou légitimer.

Dans une dichotomie digne d’un roman de gare, la Macronie, suivie par une bonne partie des médias mainstream, renvoie une semaine de révolte à une violence injustifiée. Injustifiable. Inexplicable, en somme. La stratégie est désormais trop bien connue, trop bien huilée. Dévier les débats de fond pour se concentrer sur la forme. Puis tourner en boucle dessus. Même processus lors de la mobilisation des gilets jaunes. Ou encore, plus récemment, pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Toujours la même injonction, hier et aujourd’hui : condamnez-vous ces violences ?

Expliquer, essayer de comprendre, en revanche, n’est pas une discipline macroniste. Preuve en est : ce bingo, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, de crises sociales qui s’enchaînent presque sans interruption. Les classes moyennes laborieuses : les gilets jaunes. Les fonctionnaires du service public : la crise sanitaire et de l’hôpital public. Les travailleurs, et surtout travailleuses, de la deuxième ligne : le mouvement social contre la réforme des retraites. La jeunesse des quartiers populaires : la mort de Nahel.
À ces colères, légitimes, la seule réponse de ce pouvoir est celle de la surdité et de la répression.

Ces derniers jours n’en sont qu’une cruelle illustration Les jeux vidéo, les réseaux sociaux et le manque d’autorité parentale : voilà les vrais responsables du désordre, selon Emmanuel Macron, expert ès sciences sociales. Autant de déviations pour ne pas écouter.
Des éborgnements, des arrêtés préfectoraux illégaux, une police toujours plus violente, des condamnations en comparution immédiate d’une extrême lourdeur : autant de répression pour faire taire. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?

Ces méthodes ont un but évident. Éviter à tout prix de s’attaquer au fond des problèmes. Pourtant, parfois, il s’agirait d’écouter les sachants. Car comprendre, c’est pouvoir agir. Expliquer, c’est vouloir améliorer.
« C’est dans cette histoire [coloniale] que se sont construits un répertoire policier (contrôles d’identité, fouilles corporelles…) et des illégalismes violents (bavures, ratonnades…) qui n’ont pas cessé avec les indépendances des années 1960 », souligne, par
exemple, Emmanuel Blanchard, directeur adjoint de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, dans un entretien au Monde. Un racisme de la police pointé du doigt par l’ONU. Mais non, circulez, il n’y a rien à comprendre, ces « émeutiers » sont des « nuisibles » pour reprendre les termes d’Alliance et de l’Unsa Police, les deux principaux syndicats policiers.
« La police est merveilleuse », a même osé la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.
Mais cette révolte ne dit pas que ça. Elle démontre une colère liée à l’abandon de ces quartiers. À la disparition des services publics, à l’incapacité de l’école à créer son rôle émancipateur, à l’insalubrité de logements sociaux vieillissants. À l’inflation, à laquelle les réponses gouvernementales sont restées au stade du pansement sur une fracture ouverte, aux inégalités fiscales, aux boulots pénibles, mal rémunérés, accidentogènes. Des phénomènes documentés, expliqués. Sans autre réponse politique à ces colères que la répression, l’exécutif continue d’attiser la haine et la frustration. Jusqu’à quand cela tiendra-t-il ?

Article de Pierre Jequier-Zalc dans Politis du 06 juillet 2023.

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