Chômeurs assistés

Cette réforme ravive un vieux fantasme qui sert de prétexte aux « réformes » sociales : celui des « assistés ». Si le taux de personnes sans emploi ne baisse pas, c’est que les indemnités seraient trop généreuses et décourageraient un retour sur le marché du travail. Pourtant, les chiffres fournis par l’Unédic et Pôle emploi permettent de douter de l’existence d’une masse importante de « chômeurs profiteurs ».

 

Parmi les plus de 5 millions de personnes inscrites à Pôle emploi, seulement 40 % sont réellement indemnisées et près de la moitié de ces dernières travaillent déjà en touchant, en complément, une allocation. Ainsi, comme le rappelle Christine Erhel, qui s’appuie sur une étude de Pôle emploi exploitant les données de contrôles des allocataires, « seulement 8 % des indemnisés ne cherchent pas activement un emploi ». Enfin, le montant moyen de cette indemnisation est de 960 euros par mois, soit bien moins que le Smic, et encore moins que le Smic accompagné de la prime d’activité. « Dans la réalité, cette figure du chômeur profiteur est tout simplement inexistante ou très marginale », conclut la sociologue du travail Claire Vives.

La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), un organisme public qui produit des données sur le marché du travail, s’est par ailleurs penchée sur ces tensions de recrutement. Et les éléments apportés dans cette note sont éclairants. Les auteurs estiment que ces tensions sont liées, dans un tiers des cas, à « l’absence de main-d’œuvre formée », particulièrement dans des « métiers pointus de l’industríe et du bâtiment, et la quasi-totalité des métiers d’ingénieurs dans l’industrie, le bâtiment ou l’informatique ». Dans un quart des cas, elles « proviennent plutôt de conditions de travail révélant un problème d’attractivité », comme pour « les aides à domicile, les conducteurs routiers, les ouvriers non qualifiés de l’industrie ainsi que les serveurs ».

 

Ces deux critères, problème de formation et manque d’attractivité, se cumulent dans un cas sur cinq, notamment pour « la plupart des métiers de bouche mais également les aides-soignantes ». Pour le reste, « l’origine des tensions est plus diverse », assurent les auteurs, citant par exemple « l’inadéquation géographique » pour les assistantes maternelles.
Face à ces constats, les auteurs de l’enquête tirent une conclusion qui détonne clairement dans le discours ambiant. « Il semblerait que la forte poussée des tensions et l’apparition d’un désalignement inhabituel entre difficultés de recrutement et chômage en France sur ces cinq ans résultent moins d’un problème de formation, déjà existant, que d’un problème d’attractivité dans une trentaine de métiers. Si les actions d’amélioration de la formation (initiale comme continue) sont nécessaires pour résoudre les problèmes structurels de compétences, l’apaisement des difficultés de recrutement (et la baisse du chômage) pourrait donc aussi passer par l’amélioration des conditions de travail et/ou la revalorisation des salaires dans certains métiers. »

Malgré ces conclusions limpides, la hausse des salaires et l’amélioration des conditions de travail ne semblent pas être la direction prise par le gouvernement. En témoigne une interview du député Renaissance Marc Ferracci, rapporteur de la réforme, à Ouest France, le 21 septembre. « Tout indique que les règles de l’indemnisation ont un effet sur l’emploi et sur le retour à l’emploi. Quand vous jouez par exemple sur la durée d’indemnisation, les gens adaptent leur comportement de recherche d’emploi à la date de leur fin de droits », indique-t-il.
Économiquement parlant, cette affirmation n’est pas erronée, assure Christine Erhel : « Plusieurs travaux économiques montrent qu’empiriquement il semble exister un lien entre générosité de l’assurance-chômage et durée au chômage. » Mais l’économiste du travail nuance: « Une fois que l’on a dit ça, il faut interpréter ce résultat. Est-ce que c’est bien ou mal que l’assurance-chômage permette aux gens de prendre le temps pour trouver un emploi qui leur corresponde ? »
« Si l’assurance-chômage vous permet de refuser un emploi, c’est précisément qu’elle joue son rôle en vous permettant d’aller vers un emploi qui vous convient. Être au chômage ne vous oblige pas à prendre n’importe quel emploi », répond de son côté Claire Vivès. « En s’attaquant encore au portefeuille des allocataires, on ne modifie pas la législation en matière d’obligation faite aux chômeurs, mais on les oblige de fait à prendre des emplois qu ‘ils auraient aimé refuser. »

Pour les opposants à la réforme, baisser les indemnités et rendre plus difficile l’accès aux droits permet au gouvernement (et, en creux, au patronat) d’éviter une pression à la hausse des salaires. « En poussant les demandeurs d’emploi à accepter des emplois qu’ils auraient refusés, on maintient une pression pour ne pas augmenter les salaires malgré une situation de l’emploi qui se tend », explique la sociologue du travail, qui a notamment travaillé sur les contrats courts. Bon nombre de nos interlocuteurs citent l’exemple allemand, avec les réformes Hartz, au début des années 2000, qui, en réduisant l’accès et le montant des allocations-chômage, ont baissé le salaire médian et augmenté le niveau de pauvreté dans le pays.

Extrait d’un article de Pierre Jequier-Zalc dans Politis du 29 septembre 2022.

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